Audition des eurodéputés sur les vaccins anti-Covid : beaucoup de questions, peu de réponses de Pfizer

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Estelle Fougères, pour FranceSoir
Publié le 12 octobre 2022 - 19:00
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Janine Small, présidente des marchés de développement international de la société Pfizer.
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F. Froger / Z9, pour FranceSoir
Janine Small, présidente des marchés de développement international de la société Pfizer.
F. Froger / Z9, pour FranceSoir

Lundi 10 octobre, le Parlement européen organisait sa seconde audition avec les représentants de l’industrie pharmaceutiques qui ont travaillé sur le développement des vaccins anti-Covid-19. Parmi les personnalités que les députés européens souhaitaient auditionner, Albert Bourla, président directeur général de Pfizer était très attendu. Ce dernier a cependant décliné cette demande d’audition, préférant envoyer à sa place Janine Small, présidente régionale de Pfizer, responsable du développement des marchés internationaux.

L’absence d’Albert Bourla ne passe pas

L’Union européenne a acheté des vaccins au géant pharmaceutique Pfizer pour un montant qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros. Parmi tous les vaccins autorisés en urgence contre le Covid-19, le Comirnaty de Pfizer est celui qui a été le plus largement déployé en population générale en Europe.

Plus d'un an et demi après le début de la campagne de vaccination mondiale, les très nombreuses questions qui demeurent sur les vaccins, mais également sur les contrats passés entre la Commission européenne et le laboratoire, ont conduit les parlementaires européens à demander à plusieurs responsables de l’industrie pharmaceutique, dont le président directeur général de Pfizer Albert Bourla, de se présenter pour être auditionné à Bruxelles par la commission spéciale du Parlement européen sur le Covid.

Cette demande d’audition du PDG de Pfizer faisait suite aux conclusions du 12 septembre 2022 de la Cour des Comptes européenne qui n’a pas hésité à dénoncer les conditions anormales de négociation de contrats (paragraphes 35 à 39 du document).

En l’absence d’Albert Bourla qui a décliné la demande d’audition, c’est Janine Small qui a représenté le laboratoire Pfizer. À la question de l’eurodéputée Sara Cerdas (Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen) de savoir si l’absence d’Albert Bourla était due au rapport de la Cour des comptes européenne, Mme Small a tenu à la rassurer en déclarant : « Je me tiens à votre disposition, je peux vous garantir que ce n’est pas lié au rapport de la Cour des comptes ». Puis cette dernière a affirmé être la « mieux placée » pour répondre à toutes leurs interrogations. Une réponse qui n’a pas convaincu les eurodéputés qui n’ont pas hésité à montrer leur mécontentement face au désistement d’Albert Bourla.

Audience.

© F. Froger / Z9, pour FranceSoir

L'opacité autour des contrats d’achats de vaccins de Pfizer

Très attendue sur la question des SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Lyen, et le PDG de Pfizer, Janine Small, tentant de banaliser cette pratique pour la justifier, a déclaré :

« Pendant la pandémie, nous avons tous télétravaillé et par conséquent, je suis sûre que monsieur Bourla a fourni son numéro de téléphone pour pouvoir échanger avec des dirigeants à travers le monde y compris moi-même... j'ai pu le faire et nous avons pu échanger sur la situation. Concernant votre question, précisément la négociation d'un contrat de ce type, vous avez parlé de 1,8 milliard de doses... négocié par SMS, je peux vous dire catégoriquement : ça n'a pas été le cas. Je vous le dis parce que j'ai moi-même participé à toutes les négociations début 2020. Des procédures très claires sont prévues avec des méthodes très claires chez Pfizer, mais aussi dans les institutions, avec les autorités, les différentes organisations. Il y a une équipe énorme qui travaille des deux côtés pour négocier tous les aspects complexes contenus dans un tel contrat. Ce n'est pas possible, je peux vous l'assurer de mener ces négociations par SMS ».

Si elle a admis l’existence de ces SMS sans pour autant donner le nombre échangé, une statistique que les députés européens réclamaient, mais qu'elle ne détient pas, Mme Small a cependant nié catégoriquement la négociation des contrats via ce canal de communication, inapproprié pour mener des opérations aussi complexes, selon ses dires.

Sur la question des contrats signés entre la Commission européenne et le laboratoire Pfizer, les députés ont demandé à avoir connaissance de l'ensemble des documents. Ce à quoi Mme Small a répliqué qu'ils « sont disponibles pour les eurodéputés ». Une réponse qui a exaspéré les parlementaires qui se sont empressés de dénoncer l’opacité des documents dont de très nombreuses parties ont été noircies pour demeurer confidentielles.  

Lire aussi : "Où est la transparence ?" Des députés européens demandent des comptes sur les politiques sanitaires

Beaucoup de questions laissées sans réponse

Face aux très nombreuses questions des députés européens, Janine Small est demeurée très évasive dans la très grande majorité de ses réponses. Peinant à affronter les eurodéputés chauffés à blanc, elle a eu toute la difficulté du monde à offrir des réponses précises et convaincantes. L’impatience était lisible chez nombre de parlementaires comme M. Marc Botenga (Le groupe de la gauche au Parlement européen) lorsque ce dernier, agacé, a fini par demander des réponses par « oui » ou par « non », et ce afin d’obtenir des informations concrètes.

Sur la question de la composition des vaccins, Janine Small n’a apporté aucune information susceptible de satisfaire les eurodéputés. Également présent à l’audition, Franz Werner Haas, Président directeur général de CureVac qui a développé le vaccin avec Pfizer s’est contenté de répéter qu’en matière de sécurité, CureVac était très exigeant.

Haas.

Franz Werner Haas (© F. Froger / Z9, pour FranceSoir)

Même déception sur les réponses concernant les prix des vaccins puisque Janine Small a déclaré : « Je comprends que vous reveniez beaucoup sur la politique des prix. Mais de notre point de vue, nous ne pouvons pas évoquer la question autour de la politique de tarification. La tarification reste confidentielle. Et avec cela, je sais, encore une fois, vous allez être frustrés de ma réponse. Je le vois sur vos visages. Mais la tarification est confidentielle. Et, de ce point de vue, je ne peux pas discuter de cela avec vous". 

Cet évitement de la part de la représentante de Pfizer à apporter des éléments concrets sur les prix n'a pas empêché l'eurodéputée Virigine Joron (Identité et démocratie) de rebondir en mettant sur la table le coût des effets secondaires. 

« Vous ne voulez pas parler de prix, alors on va parler des effets secondaires qui ont un prix » a déclaré Mme Virginie Joron qui a égrainé les chiffres du dernier rapport de l'Agence de sécurité du médicament « qui a répertorié en France plus de 30 000 cas graves comme AVC, embolies pulmonaires et décès (...) tandis qu'au niveau européen, c'est plus de 900 000 effets secondaires dont 8 209 issues fatales ». Forte de ce constat, Mme Joron a posé la question de la responsabilité du laboratoire et demandé à Mme Small quelle procédure interne de suivi des effets secondaires Pfizer a-t-il mis en place ?  Elle a également soulevé la question de l'indemnisation des victimes. 

À la sortie de cette audition, plusieurs eurodéputés ont accepté de répondre aux journalistes de France Soir.

Députés européens.

Députés européens (© F. Froger / Z9, pour FranceSoir)

L’eurodéputée Michelle Rivasi (Verts / Alliance libre européenne), n’a pas caché son mécontentement, n’hésitant pas à dénoncer « un simulacre de commission d’investigation ».

« Il n’y a pas de réponse à nos questions. En plus, on invite le directeur, il ne vient pas sans justificatif. Or, à l’heure actuelle, Pfizer est pratiquement seul à produire des vaccins sur l’ensemble de l’Europe. On lui a commandé 1,8 milliard de doses, c’est le dernier contrat pour 35 milliards d’euros. Ce sont des contrats gigantesques et ce monsieur ne vient pas parce qu’il est attaqué avec la présidente de la Commission européenne, parce qu’ils ont fait un échange de SMS sur le dernier contrat, donc autour de 35 milliards, sans passer par les structures qui négociaient les contrats », a-t-elle encore déclaré.

« Ce qui s'est passé, c'est ce qui se passe à chaque fois : nous n'obtenons pas les réponses. Et c'est pourquoi ce Comité est complètement ridicule. C’est une illusion démocratique... ça a pour but de faire croire aux gens que nous travaillons sur ces problèmes qui sont survenus avec les contrats liés aux vaccins. Mais rien de cela n'avance avec ce Comité. Et plus tôt, j'ai demandé à ce que ce Comité soit déclaré incompétent lorsqu'il s'agit de clarifier certaines questions. Et je parle des questions relatives aux contrats des vaccins. Mais la présidente du Comité (l'eurodéputé Kathleen Van Brempt) a encore une fois refusé de soumettre cette proposition à un vote. Donc, cela montre jusqu'à quel point ce Comité est ridicule. Et si le but est d'obtenir des réponses, on ne nous autorise pas de faire notre travail ! », s’est offusquée l'eurodéputée Christine Anderson (Identité et démocratie) au micro de france Soir.

En dépit des demandes compréhensibles et légitimes des parlementaires européens qui estiment avoir le droit d'accès aux clauses des contrats signés entre la Commission européenne et la société Pfizer, Janine Small s'est servie du droit à la confidentialité pour raison de concurrence afin de justifier son absence de réponse aux questions soulevées.

Comme l'explique Stephane de La Rosa, Professeur de droit à l'université Paris-Est Créteil, dans un texte publié dans Le Club des juristes, toute la question est de savoir si les clauses de protections des intérêts commerciaux des laboratoires pharmaceutiques (dir. 2014/24)(CJUE, 20 mars 2018, Commission c. Autriche, aff. C-187/16) peuvent être remises en question au motif d'un intérêt général supérieur qui pourrait justifier la divulgation des documents demandés. En d'autres termes, les intérêts commerciaux peuvent-ils être mis en balance avec l'intérêt du public ?

Tout porte à croire que cela est possible. Pour que cette question puisse être tranchée, cette bataille juridique se jouerait autour de l'interprétation par la Cour de justice du règlement 1049/2001 relatif au droit d'accès des documents détenus par les institutions. Dans le cadre des marchés de l'acquisition des vaccins, la Cour de justice doit déterminer si le Parlement européen, seule institution élue démocratiquement, peut justifier au nom de l'intérêt public d'une transparence sur les prix des vaccins ou encore sur les causes d'exonération de la responsabilité en cas de manquement à une obligation contractuelle. 

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