Pour les blessés par la police, le long chemin de l'indemnisation

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Par Alexandre HIELARD - Paris (AFP)
Publié le 06 février 2020 - 21:50
Mis à jour le 07 février 2020 - 10:58
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Vanessa Langard photographiée le 19 mars 2019 au Plessis-Trevise
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© Martin BUREAU / AFP/Archives
Vanessa Langard, blessée à l'oeil par un tir de LBD, le 19 mars 2019
© Martin BUREAU / AFP/Archives

Une main arrachée ou un oeil perdu a bouleversé leur vie jusqu'à précipiter certains dans la précarité: pour les victimes de violences policières, obtenir une indemnisation à la hauteur de leur préjudice s'apparente souvent à un interminable chemin de croix.

Vanessa Langard croule sous la paperasse. Éborgnée par un tir de LBD le 15 décembre 2018 à Paris, cette "gilet jaune" prépare son audition à la fin du mois devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi).

Composée de magistrats, cette instance tranchera son litige avec le Fonds de garantie des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) qui lui a refusé à deux reprises l'indemnisation de 15.000 euros qu'elle demandait.

"On m'a répondu que c'était trop pour quelqu'un qui n'a pas perdu la totalité de l'oeil. C'est blessant, c'est comme recevoir des petits coups de couteaux supplémentaires", explique cette ancienne auxiliaire de vie de 34 ans.

Aujourd'hui, elle vivote grâce aux 300 euros mensuels de la Sécurité sociale, attend de toucher le RSA et se nourrit à l'épicerie sociale. Son quotidien est meublé par ses rendez-vous chez l'orthophoniste pour rééduquer son cerveau partiellement nécrosé et ses séances de kiné pour diminuer ses douleurs à la tête. Elle a également perdu une partie du goût et de l'odorat.

"J'ai l'impression de devoir quémander de l'argent pour survivre. Alors qu'on nous le doit, même si ça ne me redonnera pas ma vie d'avant", dit-elle.

La Civi doit également statuer fin février sur la demande de Jérôme Rodrigues, devenu l'un des symboles des violences policières contre les "gilets jaunes" après la perte de son oeil droit en janvier 2019. Pour lui aussi, le FGTI a refusé l'indemnisation.

L'ancien plombier, désormais sans emploi, suivi par une assistante sociale et un psychiatre, se dit "dans une merde noire", contraint de quitter son logement dont il ne peut plus assumer le loyer.

Il espère une décision favorable mais garde les pieds sur terre: "Je ne vais pas toucher des millions." "En moyenne, pour un oeil, on demande 100.000 euros", précise son avocat Arié Alimi, agacé par un FGTI qui "s'oppose à tout".

- "Impasses" -

"80% des transactions se font à l'amiable. Nous n'avons aucun intérêt à payer le moins cher, nous n'avons pas d'actionnaires à satisfaire. On accorde une juste indemnisation en suivant la jurisprudence", se défend le FGTI, abondé pour l'essentiel par une taxe sur les contrats d'assurances.

Au 25 janvier, le Fonds de garantie avait pris en charge "dix personnes victimes" dans le cadre du mouvement des "gilets jaunes". Une quarantaine de demandes sont en cours d'instruction et cinq n'ont pu aboutir "car la matérialité de l'infraction n'est pas établie".

Au total, le FGTI a versé 25.500 euros, "principalement sous la forme de provisions" pour que les victimes puissent faire face aux frais les plus urgents, explique l'organisme.

En dépit de ces contentieux, il s'agit de la voie la plus rapide vers une première indemnisation, tant les enquêtes judiciaires sont longues et incertaines, et les condamnations rares.

"Le problème c'est que 99 fois sur 100 on n'arrive pas à identifier le tireur. A force de privilégier la voie pénale on aboutit à des impasses systématiquement", souligne Etienne Noël.

Cet avocat préfère attaquer directement l'Etat devant les tribunaux administratifs pour obtenir réparation. En 2013, il a ainsi fait condamner la Préfecture de police à verser 7.900 euros à Clément Alexandre, blessé par un tir de flashball - remplacé depuis par le LBD - en 2009 lors de la Fête de la Musique à Paris. Une première.

D'autres victoires ont suivi, mais longtemps après les faits. Pierre Douillard, blessé à l'oeil en 2007 lors d'une manifestation lycéenne à Nantes, a fait condamner en appel l'Etat à lui verser 86.400 euros en 2018 malgré la relaxe du policier au pénal.

L'an dernier, Florent Castineira, un supporter du Montpellier Hérault Sport Club éborgné par un tir de LBD en 2012, a obtenu 47.700 euros d'indemnisation alors qu'un juge d'instruction avait prononcé un non-lieu.

- Des blessés devenus militants -

Même lorsqu'un policier est reconnu coupable, la quête de l'indemnisation est difficile. En 2018, la justice a condamné en appel à 18 mois de prison avec sursis le fonctionnaire qui a éborgné Joachim Gatti lors de l'évacuation d'un squat à Montreuil en 2009, mais sans assortir la peine de dommages et intérêts.

"En dix ans de procédure pénale, j'ai touché zéro euro", confie l'ancien caméraman, reconverti dans le social. Sa procédure administrative n'aboutira pas avant un an, voire deux en cas d'appel. La Civi, elle, l'a débouté deux fois.

"La possibilité de se faire indemniser pour les victimes de la police est un véritable parcours du combattant. On se retrouve face à des instances qui vous regardent avec mépris", déplore le quadragénaire. Quoiqu'il arrive, l'argent qu'il pourrait toucher sera "sans commune mesure avec la manière dont cet événement a bouleversé ma vie", ajoute-t-il.

A côté de leurs démarches judiciaires, de nombreux blessés sont devenus des militants de l'interdiction des armes dites de "force intermédiaire" (LBD, grenades).

La procédure devant le tribunal administratif "participe de cette pression continue qu'on essaie d'exercer sur l'Etat", explique M. Gatti, qui milite au sein du "Collectif 8 juillet".

Vanessa Langard, qui participe aux marches des "Mutilés pour l'exemple", ainsi que Pierre Douillard et Florent Castineira, membres actifs de "l'Assemblée des blessés", mènent le même combat.

"Arriver à faire condamner un policier, souvent à une petite peine avec sursis, ne remet pas en cause la doctrine du maintien de l'ordre, souligne Me Noël. Faire condamner l'Etat, a fortiori pour faute, c'est beaucoup plus important symboliquement."

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