Rome et Paris : "je t'aime moi non plus"

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Par Olivier BAUBE avec Céline CORNU à Milan - Rome (AFP)
Publié le 28 janvier 2019 - 07:45
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Le palais Farnese où se trouve l'ambassade de France à Rome, le 13 juin 2018
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© Tiziana FABI / AFP/Archives
Le palais Farnese où se trouve l'ambassade de France à Rome, le 13 juin 2018
© Tiziana FABI / AFP/Archives

Le 20 juin 1881, des dizaines de manifestants tentent de s'attaquer à l'ambassade de France à Rome, après la signature du traité du Bardo qui reconnaît le protectorat français en Tunisie.

"On n'en est pas là", reconnaît Jean-Pierre Darnis, expert des relations franco-italiennes entre les universités de Rome et de Nice. Cependant depuis des semaines, la tension s'accumule, à coups de petites phrases, accusations et mises en cause, au point d'avoir réduit à néant le dialogue politique entre les deux pays, de l'aveu même de la ministre française aux Affaires européennes Nathalie Loiseau.

Les deux soeurs latines, la France et l'Italie, ont toujours eu des relations mouvementées, mais le climat s'est sérieusement détériorée depuis l'arrivée au pouvoir en juin du premier gouvernement populiste dans un pays fondateur de l'Union européenne.

Par deux fois, l'ambassadeur de France à Rome, Christian Masset, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères, à chaque fois sur le dossier le plus sensible pour les Italiens: la question migratoire.

Rome reproche à la France "donneuse de leçons", plus encore qu'aux autres pays européens, de l'avoir laissée seule gérer pendant des années les débarquements de dizaines de milliers de migrants sur ses côtes.

Le vice-Premier ministre Matteo Salvini, l'homme fort de ce nouveau gouvernement et patron de la Ligue (extrême droite), n'a de cesse de dénoncer l'"hypocrisie" d'Emmanuel Macron, un "très mauvais président" dont les Français devraient se débarrasser au plus vite. Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème) également vice-premier ministre, n'est pas en reste: selon lui, la France "colonialiste" est responsable de la fuite des Africains vers l'Europe.

"Je ne vais pas répondre. La seule chose qu'ils attendent, c'est ça (...) Bon courage et bonne agitation. Tout ça n'a aucun intérêt", a rétorqué dimanche M. Macron depuis Le Caire où il est en visite officielle.

"La France est perçue de manière très émotionnelle comme ayant méprisé et plus encore abandonné l'Italie", rappelait l'expert en relations internationales Dominique Moïsi, dans un article publié la semaine dernière.

- "Pizza et mandoline" -

"Ce sont les Français qui ont commencé à ne pas aimer les Italiens. Pour les Européens, les Italiens, c'est la pizza, la mandoline et la mafia, et seulement cela, ils pensent que nous sommes superficiels", déplore ainsi Maria Rosaria Varella, 54 ans, vendeuse de journaux à Milan, et membre de la Ligue. "On pense que les Français sont un peu arrogants. Rien que dans le football cela se voit", ajoute-t-elle, interrogée par l'AFP.

Lors de la coupe du Monde cet été, il était difficile de trouver en Italie des supporters de l'équipe de France. Les Italiens soutenaient massivement la Croatie et sur internet circulait même une infographie montrant que le seul pays du monde qui soutenait la France était… la France elle-même.

Les milieux d'affaires commencent à s'inquiéter de ce climat, alors que la France est le deuxième marché d'exportation de l'Italie, même s'ils ne voient pas, au moins pour le moment, de conséquences économiques.

"A l'intérieur du monde de l'entreprise, il n'y a aucun problème (entre la France et l'Italie), pas de sentiment anti-français", assure ainsi Licia Mattioli, vice-présidente de la Confindustria, le patronat italien, interrogée par l'AFP. Mais, a-t-elle ajouté, "nous souhaitons que le ton baisse et qu'on puisse continuer à travailler comme on le fait".

La difficulté est que le gouvernement "est en campagne électorale permanente", assure M. Darnis, rejoignant là l'opinion de nombreux commentateurs en Italie.

"Salvini et Di Maio (sont) déterminés à faire de Paris l’ennemi en vue des élections européennes du 26 mai", écrit par exemple Il Messaggero.

Il y a donc fort à parier, que la "guéguerre" transalpine continue avant cette échéance, juge-t-on dans les milieux français en Italie, où certaines petites phrases ne passent pas. "Les mots peuvent faire mal, ils peuvent aussi décourager", relève ainsi l'un de ces Français de Rome, qui pointe le risque d'isolement de l'Italie.

"Ceux qui sont au gouvernement devraient faire attention à ne pas sacrifier sur l’autel des polémiques intérieures, les choix et la crédibilité à l’étranger" de l'Italie, a averti de son côté l'ancien Premier ministre et commissaire européen Mario Monti.

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