Dans des cités de Marseille, la peur en rêvant d'ailleurs

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Par Le bureau AFP de Marseille - Marseille (AFP)
Publié le 31 août 2021 - 13:34
Mis à jour le 01 septembre 2021 - 13:14
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Une femme passe dans une rue de la cité des Marronniers, le 30 août 2021 à Marseille
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© Nicolas TUCAT / AFP
Une femme passe dans une rue de la cité des Marronniers, le 30 août 2021 à Marseille
© Nicolas TUCAT / AFP

Elles ont souvent des noms champêtres -- Les Marronniers, Les Rosiers, Les Lauriers-- ou évoquant le large --Marine Bleue --, mais ces cités de Marseille sont minées par le trafic de drogue, la violence ou le logement indigne.

L'AFP est allée à la rencontre des habitants de quatre d'entre elles, dans les quartiers nord, parmi les plus pauvres de la deuxième ville de France. Premières victimes de ces fléaux, ils racontent leurs craintes, leur sentiment d'abandon, anonymement ou sous des prénoms d'emprunt, par peur des trafiquants ou des marchands de sommeil.

Les Marronniers: Batman et le Joker

"Maintenant, plus personne ne veut sortir même pour aller acheter le pain, on a peur", lâche Khadija. Devant sa résidence accolée à la cité des Marronniers et devenue un point de guet pour le trafic de drogue, Rayanne, 14 ans, a été tué par balles le 18 août. Sur le trottoir d'en face, un tag: "L'Etat nous laisse tomber".

Plus haut, la cité HLM de six bâtiments paraît pourtant tranquille. On y accède en passant sous un pont ferroviaire. Un graff annonce la couleur: Batman, un joint à la bouche, et son ennemi, le Joker, se tiennent par les épaules et souhaitent "Bienvenue aux Marronniers".

En cette fin de matinée, les "charbonneurs" (vendeurs de drogue) n’ont pas encore investi le terrain. "Ils dorment, mais dès le début d'après-midi, ils font la loi", raconte une habitante, pointant les restes des barricades installées la veille près du point de deal. Chaises, poubelles, vieux meubles: tout est bon pour entraver la police.

"Ça fait 40 ans que je vis ici, on n'avait jamais vu cette violence", constate Fatou, qui "n'attend plus rien des politiques". Pour elle, les "choufs", payés pour avertir de l'arrivée de la police, "ne sont pas d'ici", les trafiquants recrutant hors de la cité et même de Marseille. Mohamed, ex-ouvrier du BTP, se désole: "Avant, c'était un quartier tranquille. Nous, on peut rien y faire, à part dire à nos petits-enfants qu'il faut pas faire comme eux".

Les Rosiers: "La jungle"

Après quelques petites maisons proprettes, sur une colline d'où l'on aperçoit la mer, se dressent Les Rosiers. L'ensemble d'une dizaine de bâtiments, qui abrite plus de 3.000 personnes, est aujourd'hui une des copropriétés les plus dégradées de France. "C'est pire qu'un quartier pourri", lâche une des rares copropriétaires occupantes, évoquant l'ascenseur en panne pendant des mois, les parties communes sans lumière, les marches d'escaliers délabrées.

Dans un bâtiment voisin, le point de deal est clairement visible. Pour entrer en voiture, il faut passer par un portail: les dealers contrôlent les véhicules extérieurs, racontent habitants et personnes amenées à intervenir dans la cité. "C'est la jungle. Il n'y a pas beaucoup de bancs, mais à quoi ça sert d'avoir des bancs quand on a peur de sortir? Parfois, quand la police vient pour poursuivre les dealers, on a l'impression d'être dans un film d'action, comme à la télé", se désole une mère de quatre enfants.

Profitant du manque de logements sociaux à Marseille, des marchands de sommeil proposent des appartements insalubres à des familles sans solution. "Tout le monde s'en fiche de la situation ici. J'ai l'impression qu'ils [les responsables politiques] se disent : +On laisse les gens pauvres et d'origine étrangère s'entretuer dans cet endroit+", ajoute la mère de famille.

La Marine Bleue: "Ils sont gentils"

Accrochés à un platane, les rubans posés par les policiers rappellent la scène de crime: dix jours plus tôt, dans cet espace tranquille de la Marine Bleue, deux jeunes hommes ont été mitraillés, vers minuit. "Oui, il y a un point de deal mais nous sommes très surpris, chez nous, ce n'est pas une cité classée sensible", lâche une représentante d'Habitat Marseille Provence, le bailleur social gérant l'ensemble de six bâtiments et 787 logements de la fin des années 1950.

Ici, aucun appartement n'est squatté. L'environnement est presque agréable, entre les lauriers en fleurs et les pins entourant un petit stade flambant neuf. Quant aux dealers, certains s'en accommodent: "Ils sont gentils", explique un jeune homme. "Parfois, avec ma mère, ils nous aident à porter les paquets si on est chargé".

D'autres rêvent d'ailleurs. "Imagine j'ai des enfants...", lance Majid, 26 ans, qui vit là chez ses parents, avec ses frères et soeurs. "Ici, les problèmes, c'est les grands, pas les petits, mais les petits, ils grandissent... Je veux partir d'ici", renchérit Julie, une petite quarantaine, entourée de ses quatre enfants.

Hamed, 13 ans, jouait à la PlayStation quand les coups de feu ont résonné, le 22 août: "C'est Marseille", sourit-il, fataliste.

Parc Corot: rêve de mur

"Quand on est arrivé, il y a 50 ans, il y avait des fleurs partout, un gardien", se souvient Marie, ancienne aide-soignante de 77 ans. Aujourd'hui, le Parc Corot, avec ses 376 logements, est une copropriété surendettée et dégradée. Les détritus recouvrent les espaces verts et la plupart des bâtiments sont squattés par des migrants d'origine nigériane. "Dans notre bloc, on surveille, une famille a tenté de forcer la porte d'un appartement vacant, mon fils est venu et il a soudé l’entrée", raconte-t-elle.

"On se soutient ici", assure Michèle, sa voisine de 71 ans, qui vient de hausser le ton sur des jeunes qui allumaient un barbecue sous ses fenêtres. Du coup, ils l'ont déplacé: "Au moins j'aurai ma soirée", souffle cette ancienne aide-ménagère, en s'imaginant loin. "Tant que je ne serai pas partie, un de mes fils refuse de me parler", explique-t-elle.

"Mes enfants aussi me supplient de partir", confirme Marie.

Parc Corot, "le pire lieu de Marseille", titrait le journal Le Monde en 2018. Depuis, le bâtiment A, insalubre, a été muré. Et le point de deal qu'il accueillait n'est pas revenu. Un seul des sept bâtiments émerge comme une oasis, entretenu par ses habitants, avec sa façade repeinte en rose et orange, ses jolis parterres de fleurs et son jardin partagé grillagé. Nathalie, une de ses habitantes, ne rêve que d'une chose: que son bâtiment soit séparé du reste de la copropriété par "un mur".

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