Dans la Ruhr, l'adieu à la dernière mine de houille allemande

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Par Daphne ROUSSEAU - Berlin (AFP)
Publié le 19 décembre 2018 - 07:45
Mis à jour le 20 décembre 2018 - 12:06
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Des mineurs allemands se tiennent dans l'ascenseur pour descendre dans la mine de Prosper-Haniel, à Bottrop en Allemagne, le 11 juin 2018
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© Oliver Berg / dpa/AFP/Archives
Des mineurs allemands se tiennent dans l'ascenseur pour descendre dans la mine de Prosper-Haniel, à Bottrop en Allemagne, le 11 juin 2018
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Ultime descente pour les "gueules noires" de Bottrop: la dernière houillère d'Allemagne ferme vendredi, renvoyant aux profondeurs de la terre cette industrie clé dans l'histoire européenne et le miracle économique allemand.

Avant que les 1.500 mineurs de Prosper-Haniel ne raccrochent casques et uniformes blancs, un dernier bloc de charbon doit être symboliquement remonté lors d'une cérémonie, en présence du président Frank-Walter Steinmeier.

"Bientôt tout ceci sera fini, et il ne restera qu'une grande tristesse", témoigne auprès du quotidien Bild Thomas Echtermeyer, après 30 ans penché au-dessus des chariots de minerai.

Les mineurs, qui savent depuis longtemps la houille allemande condamnée face à la concurrence à bas coût, se lanceront un ultime "Glückauf Kumpel!", "bonne chance camarade", selon l'expression consacrée à l'heure de percer une "veine".

"Etre un camarade, c'est pouvoir compter l'un sur l'autre (...) C'est cette cohésion qui fait la force de notre région", s'émeut Reinhold Adam, 72 ans, revenu à Prosper-Haniel pour une ultime descente, 25 ans après avoir pris sa pré-retraite.

La fosse, son jargon, ses échanges francs et rugueux, sa passion pour le foot, ses "Kneipe" (les bars ouvriers), ses chœurs, ses associations d'anciens et ses messes à Sainte-Barbe la patronne des mineurs ont soudé des générations d'Allemands de la région.

- 'Le charbon est partout' -

En plein essor depuis le XIXe siècle, les mines de charbon et leurs hauts fourneaux dressés sur les collines rhénanes ont alimenté en combustible l'industrie allemande.

"Pendant 150 ans, le charbon a été la principale ressource énergétique et la plus importante matière première du pays: dans la chimie, l'industrie, pour chauffer la maison, pendant les deux guerres et dans chacune des négociations d'après-guerre", énumère l'historien Franz-Josef Brüggemeier.

Sur le plan politique, les vestiaires des mineurs ont accouché des grandes luttes sociales allemandes. Les grèves de 1919 et 1968, menées par les très puissants syndicats de mineurs, ont posé les jalons des premières politiques sociales-démocrates d'Allemagne.

Au niveau européen, c'est autour du puissant charbon rhénan qu'a débuté en 1951 l'intégration économique entre anciens pays ennemis, avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier.

Mais depuis les années 1960, la houille rhénane agonise, incapable de rivaliser avec les prix du charbon produit à l'étranger. Le gouvernement allemand a maintenu le secteur artificiellement en vie à coup de subventions colossales, dont un milliard d'euros en 2017.

"Une tonne de houille allemande revient à 250 euros alors que la tonne se vend 80 euros sur le marché", explique Christof Beike, porte-parole de la fondation RAG chargée d'administrer le site de Prosper-Haniel après sa fermeture.

- Dépendance à la lignite -

Berlin a décidé d'arrêter les frais en 2007 et s'est donné onze ans pour préparer en douceur la reconversion socio-économique de son bassin minier. L'objectif: éviter un choc comparable à celui qu'a vécu l'Angleterre dans les années Thatcher.

La région de Dortmund et Essen a déjà été largement désindustrialisée. Les autorités locales tentent d'en faire un pôle de compétitivité, dense en universités, centres de recherche et start-ups.

Mais si l'Allemagne arrête d'extraire sa propre houille, elle ne sort pas pour autant du charbon. Près de 40% du mix électrique allemand repose sur le charbon sous ses deux formes: la houille et plus encore son cousin très polluant et bon marché, la lignite.

Le pays compte ainsi plusieurs immenses mines de lignite à ciel ouvert, dont l'une est occupée par des militants écologistes dans la forêt de Hambach. Et les centrales au charbon importé d'Australie ou de Chine turbinent à plein régime, y compris dans la Ruhr.

L'Allemagne est en effet lancée dans une transition énergétique périlleuse, et a besoin du charbon pour accompagner la sortie du nucléaire, tandis que la montée en puissance des renouvelables pose des problèmes de transport et de stockage.

Pressé par ses engagements climatiques, contrariés par les émissions associées au charbon, le gouvernement allemand doit annoncer début février les grandes lignes de son plan d'abandon progressif de cette source d'énergie, pour l'heure attendu à l'horizon 2050.

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