Espéraza, ou le village en déshérence qui n'a pas dit son dernier mot

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Par Marisol RIFAI - Espéraza (France) (AFP)
Publié le 12 février 2020 - 05:00
Mis à jour le 13 février 2020 - 12:24
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La façade d'un atelier de couture à Esperaza, près de Carcassone, dans le sud de la France, le 5 février 2020
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© ERIC CABANIS / AFP
La façade d'un atelier de couture à Esperaza, près de Carcassone, dans le sud de la France, le 5 février 2020
© ERIC CABANIS / AFP

Niché dans la Haute vallée de l'Aude, le village d'Espéraza semble nostalgique de sa prospérité d'antan. En proie à la désertification et au chômage, l'ancien centre chapelier attire pourtant de nouvelles populations, tournées vers des modes de vie alternatifs.

Au gré de ces ruelles, le visiteur pourrait s'imaginer un instant dans un bourg abandonné ou un décor de western: accrochées aux devantures de vieux commerces ou aux balcons de maisonnettes, les pancartes "A vendre" foisonnent dans cette commune de 1.800 habitants.

A la gare, les mauvaises herbes ont envahi les rails, car le train ne s'arrête plus depuis deux ans. "Pas assez rentable, selon la SNCF", regrette le maire, Georges Reverte. "On est vraiment enclavés maintenant".

Cet ancien colonel de gendarmerie se représente aux élections municipales avec une liste apolitique, soucieux de "repeupler et redynamiser" son village natal "qui perd chaque année une cinquantaine d'habitants", dans un des départements les plus pauvres de France.

A Espéraza, le chômage touche près de 24% de la population et "seuls 300 foyers paient des impôts", indique l'édile de 70 ans.

Bien loin du temps où l'industrie chapelière faisait la renommée du village et garantissait le plein emploi. "Au XIXe siècle, Esperaza était la deuxième capitale du feutre après Milan", précise M. Reverte.

Seule rescapée de l'époque, l'usine Monblason emploie aujourd'hui une trentaine de personnes.

- Le "fléau" de la drogue -

Axelle, 22 ans, enchaîne des petits boulots depuis le bac. "Je suis dans une +année sabbatique+ à rallonge. Ici, il n'y a pas de vrai travail", assène-t-elle.

La jeune femme est bénévole à la permanence de Médecins du Monde à Espéraza, où elle s'occupe principalement de prévention contre la drogue. "Ce que je leur dis (au public ndlr) je ne l'ai pas appris à l'université, je l'ai vécu pendant cinq ans", confie-t-elle. "L'alcool, la drogue, c'est un fléau ici. Comme on est sur la route de l'Espagne, on trouve de tout, pas cher".

Ce problème qui ronge la Haute vallée --région la plus déshéritée de l'Aude--, l'association Intermède y fait face toutes les semaines. Dans une caravane, l'équipe pluridisciplinaire de ce centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie accueille les mercredis à Espéraza un large public.

Parmi eux, "des personnes qui ont fait le choix de vivre +autrement+, dans des grottes, des cabanes ou des yourtes, en marge de la société", souligne auprès de l'AFP, Wilfried Ginart, chef de service à Intermède.

A proximité, trois jeunes discutent devant les locaux des Restos du Coeur, avant de charger dans une camionnette des sacs de nourriture et un matelas.

"Ici, on a 104 familles inscrites qu'on aide toutes les semaines. Plus beaucoup de personnes qui viennent à l’impromptu. Des retraités, mères seules, jeunes marginaux...", énumère Carole Rosselini, l'une des 23 bénévoles du centre.

"On les aide aussi à ouvrir leurs droits, à remplir des papiers... Car le plus souvent ils ont coupé tout lien avec l'administratif", dit-elle.

- "Woodstock" de l'Aude -

Se couper du monde, c'est le choix qu'a fait Joa, il y a une vingtaine d'année, en élisant domicile à quelques kilomètres d'Espéraza, sur un terrain vague où elle a installé une caravane.

"Cette région n'est pas pauvre, elle est simplement propice à autre chose que de l'argent et beaucoup de personnes qui viennent ici ont compris qu'on pouvait vivre autrement que dans le système capitaliste", estime la quinquagénaire, aux mèches blondes parsemées de bijoux.

Tous les dimanches, elle vend ses créations --bijoux, pochettes en cuir ...-- au marché d'Espéraza, réputé localement comme le "Woodstock" de l'Aude.

Plantes médicinales, créations à base d'oseille, de bois ou de tissus, bâtonnets d'encens et produits frais locaux se vendent ou s'échangent joyeusement. Les vendeurs, beaucoup de néoruraux, acceptent aussi le "SouRiant", une monnaie locale lancée il y a quelques mois.

Sylvain Gayat, un apiculteur de 46 ans, ne rate pas le rendez-vous.

"Le troc de produits et services fonctionne très bien ici. J'échange mon miel contre des légumes, de la viande, et tout le monde s'y retrouve. Il y a une entraide qu'on ne trouve pas assez ailleurs", dit-il.

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