"Frère d'âme", les mots talisman d'un fleuriste au coeur des émeutes de 1968 à Washington

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Par Cyril JULIEN - Washington (AFP)
Publié le 04 avril 2018 - 20:12
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Rick Lee, le 3 avril 2018, devant le magasin de fleurs familial qu'il avait protégé lors des émeutes ayant secoué Washington en 1968
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© Eva HAMBACH / AFP
Rick Lee, le 3 avril 2018, devant le magasin de fleurs familial qu'il avait protégé lors des émeutes ayant secoué Washington en 1968
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Le 4 avril 1968, Rick Lee a peint "Soul Brother" sur le magasin de fleurs familial alors que les quartiers noirs de Washington s'embrasaient après l'assassinat de Martin Luther King. "Cela nous a peut-être protégé", dit-il 50 ans plus tard.

Les premières émeutes venaient d'éclater à moins de trois kilomètres au nord de la Maison Blanche, quelques heures après la mort à Memphis de l'icône de la lutte pour l'égalité des Noirs.

Les violences feront 13 morts en trois jours et plusieurs millions de dollars de dégâts. Des rues entières seront incendiées, des magasins pillés avant que le calme revienne sous l'intervention de 13.000 réservistes de la Garde nationale.

Aujourd'hui âgé de 75 ans, Rick Lee a laissé à sa fille la gérance du "Lee's Flower shop". C'est l'une des dernières institutions de U Street, rue surnommée à l'époque le "Black Broadway" pour ses clubs de jazz où se sont produits parmi les plus grands noms comme Billie Holiday, Duke Ellington et Louis Armstrong.

"A l'annonce des premiers pillages, je me suis précipité vers la boutique", raconte à l'AFP M. Lee, alors militant des droits civiques qui travaillait près de la Maison Blanche. "Ma mère était seule, mon père était bloqué à Boston et il fallait que je protège ma mère et le magasin."

"On ne savait pas qui étaient les pillards, on se doutait que c'étaient des Noirs en colère", dit-il. Il décide de peindre l'inscription "Soul Brother" (frère d'âme) sur les fenêtres "pour montrer que le magasin appartenait à des Noirs".

"On est restés debout toute la nuit, avec un fusil à pompe. On était prêts à toute éventualité mais heureusement, on n'a pas eu de problèmes", ajoute Rick Lee, estimant que ces mots "nous ont peut-être protégés".

"D'autres magasins tenus par des Noirs avaient la même inscription et n'ont pas subi de dégâts", souligne-t-il.

"La première nuit a été dure, il y avait de la fumée partout, les magasins étaient mis à feu et pillés, raconte M. Lee. Puis le maire a fait intervenir la Garde nationale et les violences ont diminué".

- La colère comme réponse -

Au coeur de la colère, l'assassinat de Martin Luther King par un suprémaciste blanc et les inégalités raciales.

Les émeutes sont d'abord une réponse à la mort du pasteur noir, un "champion qui avait risqué sa vie pour rassembler" les Noirs et les Blancs, explique M. Lee.

"Nous n'avons pas laissé sa mort impunie, nous avons fait quelque chose", dit-il en faisant écho au sentiment de la communauté afro-américaine à l'époque.

La plupart des magasins brûlés "appartenaient à des juifs et des Blancs qui n'embauchaient pas de Noirs et ça faisait partie de la colère", rappelle Rick Lee. "La mentalité, c'était +vous ne nous donnez pas de travail, on vous met le feu+", explique-t-il.

Ces magasins incendiés n'ont pas rouvert, les commerçants sont partis et le quartier s'est enfoncé dans la pauvreté, la drogue et la délinquance, jusqu'à l'arrivée du métro au début des années 90 suivie d'une gentrification récente spectaculaire.

"Les Noirs ont été délogés par les promoteurs immobiliers, attirés par les perspectives de rénovations", raconte M. Lee en montrant les immeubles modernes et les bars branchés qui longent désormais la grande artère.

"Maintenant, la majorité des habitants sont blancs, ça a changé le visage de ce quartier qui était entièrement noir", dit-il.

"Je n'ai jamais rien eu contre les Blancs, souligne M. Lee. Mon problème, ce sont les gens remplis de haine, qui veulent la division du pays".

Il assure être heureux des transformations du quartier. Mais il souhaiterait aussi qu'on installe "une espèce de mémorial" pour que ces trois jours d'émeute ne tombent pas dans l'oubli.

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