Ghosn : une méga-affaire pour l'élite des enquêteurs japonais

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Par Karyn NISHIMURA - Tokyo (AFP)
Publié le 11 janvier 2019 - 09:45
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Une voiture de l'ambassade de France quitte le centre de détention de Tokyo où est incarcéré Carlos Ghosn, le 11 janvier 2019 au Japon
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© Kazuhiro NOGI / AFP
Une voiture de l'ambassade de France quitte le centre de détention de Tokyo où est incarcéré Carlos Ghosn, le 11 janvier 2019 au Japon
© Kazuhiro NOGI / AFP

L'unité du bureau des procureurs de Tokyo qui a arrêté en novembre Carlos Ghosn ne s'occupe que des grosses affaires et, pour le coup, c'est sans doute la plus importante qu'elle ait eu à traiter depuis des décennies.

"Elle regroupe la crème des enquêteurs", résume un ancien de ce "tokusobu" (section spéciale d'investigation), Yasuyuki Takai, aujourd'hui avocat.

Leurs investigations sont menées dans le plus grand secret et de façon extrêmement méticuleuse avant que ne soit déclenchée "avec prudence" une action soudaine, raconte-t-il.

Nul, hormis ceux qui ont dénoncé ses agissements supposés chez Nissan, n'avait imaginé que le tout-puissant patron était dans leurs radars et serait soudainement interpellé le 19 novembre à l'arrivée de son avion privé à l'aéroport de Haneda. Seul un journaliste du quotidien Asahi a été prévenu quelques heures avant et a pu filmer une partie de la scène.

- "As des as" -

Il y a trois unités d'élite de ce type au Japon: à Tokyo, Osaka et Nagoya.

Celle de Tokyo, chargée de l'affaire Ghosn, compte une trentaine d'inspecteurs, répartis en trois divisions.

"La première s'occupe des affaires de corruption, la deuxième des escroqueries financières pouvant avoir d'importantes répercussions sur la société et la troisième des cas d'évasion fiscale", précise M. Takai.

Dans le cas de Carlos Ghosn, c'est la vingtaine d'inspecteurs des deux premières qui sont mobilisés, sous la conduite de deux chefs-adjoints et du grand patron de l'unité spéciale, Hiroshi Morimoto.

Diplômé de l'université de Nagoya, ce quinquagénaire avait déjà oeuvré à quatre reprises pour une durée totale de sept ans et demi dans cette unité spéciale avant d'en prendre la tête il y a un peu plus d'un an. Entretemps, il a occupé plusieurs postes au ministère de la Justice.

Surnommé "l'as des as", il a une réputation de "Monsieur propre" qu'il entend bien continuer de prouver.

D'aucuns se demandent si le bureau du Premier ministre a été prévenu avant l'arrestation de Carlos Ghosn, mais cette éventualité est immédiatement balayée par M. Takai. "Les gars de l'unité spéciale, et j'en étais, n'exècrent rien tant que le fait que l'on puisse douter de leur indépendance envers les milieux politiques: ils avaient réalisé leur rêve en arrêtant l'ex-Premier ministre Kakuei Tanaka en 1976".

Ce dernier était impliqué dans l'affaire de pots-de-vin (plusieurs millions de dollars) versés par la firme aéronautique américaine Lockheed pour décrocher un gros contrat au Japon.

Si cette unité spéciale a semblé un temps un peu paresseuse, elle a repris du poil de la bête justement depuis l'arrivée de M. Morimoto.

"Je veux débusquer les fraudes et escroqueries cachées", avait-il déclaré lors d'une conférence de presse suivant sa nomination, ajoutant qu'il entendait pleinement utiliser la nouvelle loi sur la négociation des peines en cas de coopération des personnes visées.

Sous sa houlette, la division a ainsi démantelé un cartel dans le cadre du titanesque chantier en cours de construction du train à sustentation électromagnétique Maglev entre Tokyo et Osaka.

- Analytique contre passionné -

En décembre 2017, cette unité spéciale a aussi arrêté une figure montante des technologies japonaises, Motoaki Saito, patron de la société PEZY Computing, pour utilisation frauduleuse de subventions étatiques dans le cadre du développement d'un superordinateur. Sa garde à vue a été renouvelée plusieurs fois et il a finalement été libéré sous caution en mai 2018, après six mois derrière les barreaux.

Dans l'affaire Ghosn, M. Morimoto, qui ne s'exprime pas ouvertement devant la presse, retrouve une vieille connaissance: Motonari Otsuru, principal avocat du patron déchu.

C'est que le second était le supérieur du premier il y a une quinzaine d'années quand tous les deux travaillaient ensemble au sein de cette même unité spéciale de Tokyo. M. Otsuru était alors à la place aujourd'hui occupée par M. Morimoto.

Masaru Wakasa, avocat et homme politique, lui aussi ancien chef-adjoint de cette cellule et qui a un temps oeuvré avec les deux hommes, décrit M. Otsuru comme "calme et analytique" tandis que M. Morimoto lui paraît "passionné et fonceur". "Il m'est arrivé de me disputer avec lui alors que j'étais son supérieur", précise M. Wakasa dans un entretien publié par le site d'information Zakzak.

Désormais, "ils sont rivaux, on peut le dire, mais dans le combat qu'ils se livrent, ce n'est pas la force de caractère de l'un ou de l'autre qui compte, c'est à celui qui accumulera le plus de preuves pour condamner ou innocenter M. Ghosn", insiste M. Takai.

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