Juliette Perchais, itinéraire d'une prof de banlieue globe-trotteuse
À Grigny, l'une des villes les plus pauvres de France, Juliette Perchais avait été "balancée devant une classe, sans formation suffisante". Pour y remédier, cette professeure de 29 ans est partie dénicher les meilleures initiatives pédagogiques aux quatre coins du globe.
Toujours joviale, la jeune femme se souvient de sa première rentrée en Essonne, en 2014. Collège Jean Vilar, au cœur de la Grande Borne, cité emblématique avec son dédale de 3.600 logements sociaux à 25 kilomètres de Paris.
Débarquée de ses études de lettres et de son master recherche, la prof de français découvre un univers qu'elle ne "maîtrise pas": trois bagarres dans sa classe avant la Toussaint, une chevrotine manipulée par des élèves hors du collège, des collégiens qui ne l'écoutent pas...
"L'impression d'être transparente, c'est très déplaisant. C'est l'année où tu pleures, où t'as envie de changer de métier... Tu apprends la vie", rit-elle sous ses longs cheveux châtains.
Loin d'abandonner, cette Bordelaise "révoltée par les inégalités", qui "a toujours voulu être prof" et "a choisi" d'aller en réseau d'éducation prioritaire, tâtonne sur le chemin des pédagogies alternatives.
"Juliette n'hésite pas à se mettre en danger, à essayer des choses seules", témoigne sa collègue de SVT, Assa Gory.
Méthodes Montessori, Freinet, classe inversée - où les élèves étudient le cours à la maison et s'exercent en classe... "En trois ans, j'ai un peu tout testé, confie l'intéressée. Je me disais que c'était comme ça qu'on allait sauver nos élèves, mais rien ne me satisfaisait vraiment."
Jusqu'au déclic. Lors d'un séjour en Suède, où la pédagogie est centrée sur l'enfant et l'auto-évaluation, une scandinave écoute "avec pitié" le récit de sa scolarité française. "Je me suis dit qu'il fallait partir ailleurs pour me former".
Elle obtient une mise en disponibilité, finance son projet grâce à une plateforme de financement participatif. À la rentrée 2017, elle met les voiles: cap sur une année d'aventures pédagogiques.
- 18 pays, 49 établissements -
Juin 2018, la globe-trotteuse est de retour à Grigny après avoir sillonné 18 pays et visité 49 établissements novateurs.
Australie, Corée du Sud, Inde, Brésil, Canada, États-Unis, pays scandinaves... L'enseignante a vu – entre autres – une "classe du futur" où l'architecture du lieu influence la pédagogie, une "école démocratique" sans programme imposé, des établissements qui intègrent des projets sociaux à leur cursus.
Ses rencontres sont consignées dans un blog, "Stories of inspiring teachers", conçu comme un outil d'inspiration pour les profs curieux de nouvelles méthodes. Des innovations pas toutes transposables à la mécanique grignoise, reconnaît la fille d'ingénieur.
"Je ne reviens pas avec LA vérité à appliquer ici". Et de refuser l'étiquette de "révolutionnaire" ou les comparaisons avec Céline Alvarez – ex-institutrice démissionnaire de l'Éducation nationale après avoir expérimenté une classe multi-niveaux dans sa maternelle, en croisant la pédagogie Montessori avec l'apport des sciences cognitives.
Le voyage a toutefois ébranlé ses convictions. Partie en rêvant d'une pédagogie horizontale, centrée sur l'enfant, elle revient en accordant une légitimité nouvelle aux méthodes verticales, basées sur le professeur. Grâce notamment à un "choc" vécu aux États-Unis.
À Grigny, "je pensais qu'il fallait se concentrer sur les compétences psychosociales des élèves, leur apprendre à gérer leurs émotions. Si +machinette+ ne pense qu'à prendre sa revanche sur une autre fille qui l'a traitée de p***, j'ai aucune chance qu'elle m'écoute", résume-t-elle. "Mais par bienveillance, j'avais baissé mes exigences. J'oubliais un peu la transmission du savoir".
À New York, elle a découvert le réseau "Uncommon Schools". Formé d'écoles publiques implantées dans des quartiers difficiles, il obtient des résultats impressionnants grâce à des méthodes "quasi-militaires".
"L'enseignement vient entièrement du prof. Mais les gamins ne sont jamais passifs: les activités sont courtes, chronométrées et il n'y a jamais de stigmatisation négative, il y a une vraie déconstruction des erreurs", s'enthousiasme l'enseignante.
Armée de sa boîte à outils, elle a proposé à ses collègues de Jean Vilar de se regrouper pour échanger leurs bonnes pratiques. Une quinzaine sont déjà partants pour la rentrée prochaine.
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