Les refrains tristes des musiciens exilés du Venezuela

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Par Juan RESTREPO - Cúcuta (Colombie) (AFP)
Publié le 22 février 2019 - 10:51
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Les musiciens vénézuéliens Victor Roldan (d) et Cesar Cordoba chantent dans une rue de Cucuta en Colombie, le 20 février 2019
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© Luis ROBAYO / AFP
Les musiciens vénézuéliens Victor Roldan (d) et Cesar Cordoba chantent dans une rue de Cucuta en Colombie, le 20 février 2019
© Luis ROBAYO / AFP

Son nouveau public ne connaît pas ses chansons et ignore que Victor Roldan était un musicien reconnu, jusqu'à ce que le "désastre" au Venezuela l'oblige à quitter les feux de la scène pour ceux des carrefours de Cucuta, en Colombie.

Il est arrivé en "terre étrangère" il y a quatre mois, dans cette ville frontalière où il peine à s'adapter. Même sa musique ne lui semble pas à sa place.

A la veille du duel de concerts organisés de chaque côté de la frontière vendredi, cet homme de 51 ans, au visage tanné par le soleil, lâche tristement: "Je crois que j'ai même perdu ce que c'est qu'être artiste".

Pendant près de trente ans, il a combiné son emploi de policier et sa carrière de chanteur de joropos, rythme populaire des plaines du Venezuela et de Colombie, au fil de fêtes et de concerts dans l'état de Trujillo, où il est né.

Mais quand la situation économique est devenue "intenable", il s'est résolu à laisser son épouse et leurs trois enfants, dont deux encore mineurs. Il a aussi renoncé au prestige.

Connu sous le nom de scène d'El Recio del Llano (Le Costaud de la plaine), Victor Roldan n'a plus comme projecteurs que les feux tricolores de la rue.

Pendant quelques secondes, il entonne des refrains nostalgiques au rythme du cuatro, guitare à quatre cordes, de son compagnon César Cordova. Des airs typiques des plaines, qui résonnent étrangement dans la Cucuta des rythmes andins.

A la faveur des embouteillages, le spectacle se prolonge un peu.

"Même si cela dure dix ans, je ne m'habituerai jamais (...) à ce que souvent on ne donne rien, on te méprise, ignorant l'artiste que tu es", a-t-il expliqué à l'AFP.

- Autre scène -

Mais la complainte des artistes migrants s'entend à peine dans l'agitation de la frontière. La lutte pour le pouvoir, entre le régime de Nicolas Maduro et son opposant Juan Guaido, reconnu par une cinquantaine de pays comme président intérimaire, s'est approprié la scène.

D'un côté du pont international de Tienditas, à Cucuta, se prépare un gigantesque concert, organisé par le milliardaire britannique Richard Branson pour soutenir l'entrée de l'aide humanitaire au Venezuela.

Du côté vénézuélien du pont, trois concerts ont été annoncés par le gouvernement chaviste.

Le président Maduro, dont la réélection est jugée frauduleuse par ses opposants, refuse l'entrée de l'aide envoyée des Etats-Unis, estimant qu'il s'agit d'un préalable à une intervention militaire de Washington pour l'évincer du pouvoir.

La Colombie a reçu plus d'un million de Vénézuéliens sur les 2,3 millions qui ont fui leur pays depuis 2015, selon l'ONU.

Parmi eux, de nombreux talents musicaux en sont réduits à jouer entre les files de voitures ou sur les trottoirs.

- Publics différents -

Le tromboniste Eduardo Pinto, qui enseignait à 60 enfants à Tinaquillo, fait partie de ce spectacle itinérant depuis son arrivée à Cucuta en juillet.

A 21 ans, formé au sein du prestigieux réseau des orchestres vénézuélien, il a quitté son pays lorsque l'hyperinflation a commencé à pulvériser en quelques heures ses cachets et honoraires de cours.

Au début, il jouait des valses. Mais cela "ne plaisait pas beaucoup". Alors il s'est uni à d'autres talents immigrés pour monter "Son de al lado" (Le son d'à côté), groupe de musique dansante qui joue dans le quartier commerçant.

Bien qu'il se dise bien traité, et se réjouisse d'être engagé pour animer des fêtes privées, il se sent piégé. "Qui veut quitter son pays pour se retrouver à jouer dans la rue? Passer de la direction d'un orchestre à ça?!", s'insurge-t-il.

Même couplet pour José Luis Medina, 36 ans, dont la flûte traversière enchantait des salles de jusqu'à 4.000 spectateurs. Mais quand la crise s'est aggravée, ses quatre emplois ne suffisaient plus.

Il a migré à Cucuta il y a sept mois, se heurtant à une culture musicale radicalement différente, au point que certains confondaient son instrument avec une clarinette.

"J'ai dû amplifier ma sensibilité musicale pour comprendre un autre type de public", explique ce père d'une fillette de quatre ans, qui joue des airs commerciaux dans la rue et les restaurants, en compagnie d'une harpe, un violon et un cuatro.

Les musiciens de la diaspora vénézuélienne gagnent juste de quoi survivre et expédier un peu d'argent à leur famille. Mais ils répètent encore pendant des heures chaque jour et rêvent de remonter sur scène.

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