Limonade Lorina : se souvenir des bonnes choses

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PP
Publié le 08 avril 2015 - 13:44
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Lorina Limonade Affiche
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Les limonades Lorina fêtent cette année leurs 120 ans.
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Longtemps restée confidentielle et réservée à quelques chanceux du canton de Munster (Haut-Rhin), la limonade Lorina est désormais un produit vendu dans de nombreux pays. Issu d’un savoir-faire centenaire, ce petit morceau de patrimoine français a pourtant bien failli disparaître à la fin des années 1990.

A l’origine petit atelier artisanal et familial de limonade, Lorina, fondée il y a 120 ans, est depuis devenue une entreprise industrielle. Une marque internationale même, qui écoule ses produits dans une quarantaine de pays chaque année.

Installée depuis ses débuts à Munster, une petite commune alsacienne proche de Mulhouse, la société est une PME comptant, en période de pic de production, une centaine de salariés "seulement". Ce qui ne l’empêche pas de vendre des millions de bouteilles par an et d’avoir engrangé quelque 35 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013 (contre à peine 1 million de francs –150.000 euros– en 1995).

C'est en 1895 que Victor Geyer décide de se fixer à Munster, alors partie intégrante de l’Empire allemand. Jusqu'alors fabricant de vin en Lorraine, il décide de se consacrer à la limonade et y fonde un atelier de production de cette boisson sucrée et gazeuse. A cette époque, les sodas américains n'ont pas encore inondé le marché et les diabolos connaissent leur heure de gloire. La limonade est également un produit local, et pratiquement chaque village de France abrite son petit producteur local.

Une histoire de famille

Les affaires de Victor Geyer fonctionnent bien. Pourtant, l’homme ne cherche pas à se développer outre mesure et se satisfait de son état de petit limonadier au rayonnement localisé. Effectuant ses livraisons en charrette à chevaux, sa production est artisanale et il utilise l’eau provenant du puits situé près de son atelier, ainsi que du sucre extrait de betteraves alsaciennes et une essence de citron distillée sur la Côte d'Azur.

En 1924, à la mort de leur père, Victor et Ernest Geyer reprennent le flambeau, rebaptisant la société Geyer Frères. Puis elle devient Lorina en 1946. Dans cette période d'immédiat après-guerre, les fils du fondateur ont tenu à renommer ainsi l'entreprise en hommage à un navire ayant servi à l'évacuation des troupes françaises encerclées à Dunkerque en 1940. D'autant que ce nom a également l'avantage de rappeler la Lorraine natale de leur père.

Dans la France libérée des années 1950, la grande distribution se développe et l'Hexagone est gagné par la consommation de masse. Pourtant, les entrepreneurs alsaciens, qui développent toute une gamme de limonades aux saveurs différentes mais classiques (menthe, grenadine, etc.), préfèrent bouder les grandes surfaces et vendre leurs produits aux petits commerçants et restaurateurs locaux. Un modèle qui permet à Lorina de vivre et de faire vivre quelques employés (seulement deux à plein temps il y a encore 25 ans), ce qui semble là encore convenir à la famille Geyer.

Idem pour Yves Kesseler, gendre d'Ernest Geyer et troisième génération à prendre la tête de la société dans les années 1960. "Bien sûr, on pourrait travailler plus et doubler sans difficulté la production. Mais à quoi bon? Je suis tout seul et cela fait cinq ans que je n'ai pas pris de vacances", déclarait-il en 1995 à Michel Sousse, envoyé par Libération pour comprendre la méthode de fabrication de cette limonade qui commence à faire parler bien au-delà de sa région.

Renommée médiatique

Dans les années 1990, médias et guides gastronomiques (comme le Gault & Millau) commencent ainsi à s’intéresser à cette marque artisanale. Une attention qui ne suscite guère d’enthousiasme chez le limonadier Yves Kesseler, qui continue "chaque matin, (à) monter au grenier, par un escalier raide et sombre, s'enfermer dans son laboratoire" pour préparer son sirop, raconte Libération. Passer à la vitesse supérieure? L’artisan n’y est pas opposé, mais "à quelques mois de la retraite, il me faudrait un repreneur pour m'y lancer", rétorque-t-il.

Faute de repreneur, justement, Lorina a bien failli disparaître à la fin des années 1990. La petite histoire veut que ce soit dans ce fameux article de Libération du 25 août 1995 que Jean-Pierre Barjon découvre Lorina. Le jeune entrepreneur n’a alors pas 40 ans mais il a bien cerné le potentiel de cette limonade, la dernière à être fabriquée artisanalement en France.

Il décide donc de reprendre la société, rachetée "pour 80.000 euros, dont 40.000 euros qu'Yves Kesseler a bien voulu me faire à crédit", se souvient-il pour FranceSoir. Car, selon Jean-Pierre Barjon, la principale motivation du limonadier était d’empêcher la disparition de l’entreprise familiale.

Le buffet de la gare comme plus gros client

Jean-Pierre Barjon, avec peu de moyens (il "chargeait son véhicule personnel de quelques dizaines de cartons pour tenter d'implanter sa limonade dans les linéaires", raconte-t-il), se lance dans l’aventure et mise tout sur le storytelling. Son analyse est simple: Lorina a une histoire, et c’est ce qui fait sa force. Il met donc en avant la recette de sa limonade, inchangée depuis un siècle, pour "séduire les consommateurs adultes nostalgiques des goûts de leur enfance".

Il mise également beaucoup sur la "rétro-innovation" (l’art de remettre au goût du jour un produit désuet) et l’identité visuelle: bouteilles en verre, bouchons mécaniques en céramique et caoutchouc, positionnement haut de gamme et packaging vintage démarquent Lorina des autres sodas. Une recette qui fonctionne parfaitement, et même au-delà des frontières de l’Hexagone.

Quand Jean-Pierre Barjon reprend la société, en 1996, les livraisons sont limitées à un rayon de 25 kilomètres autour de l’atelier de Munster et le plus gros client de Lorina est le buffet de la gare de la ville… Un an plus tard, il a convaincu Monoprix et Le Bon Marché de commercialiser ses limonades, mais aussi Carrefour, Auchan ou encore les Américains Walmart, géant mondial de la grande distribution, et Starbucks.

Le succès est fulgurant et la société multiplie par 50 son nombre de salariés et, grâce à un prix de vente d’environ 2 euros par bouteille, par 200 son chiffre d’affaires.

Autrefois pépite confidentielle du canton de Munster, Lorina réalise désormais la moitié de ses ventes à l’international.

L'entreprise a ouvert en 2004 une filiale à Miami et, depuis une dizaine d'années, a multiplié par quatre ses ventes aux Etats-Unis en s'adaptant au marché américain haut de gamme, avec de nouvelles couleurs et de nouveaux parfums (Pink Limonade, Blood Orange Limonade, etc.).

Très courue également du Canada à l’Australie, en passant par le Japon, le Maroc ou encore la Russie, la limonade de Munster, qui mise sur l’art de vivre à la française pour convaincre les clients étrangers, semble bien avoir trouvé la recette du succès.

 

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