Marseille : Wilson Mendes, une vie brisée à 17 ans

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Par Olivier LUCAZEAU - Marseille (AFP)
Publié le 11 janvier 2019 - 10:00
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Céline Sylva montre une photo d'elle et de son fils Wilson Mendes, le 9 janvier 2019 à Marseille, tué d'une décharge de gros plombs en pleine poitrine en janvier 2018
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© GERARD JULIEN / AFP
Céline Sylva montre une photo d'elle et de son fils Wilson Mendes, le 9 janvier 2019 à Marseille, tué d'une décharge de gros plombs en pleine poitrine en janvier 2018
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Marseille, 14 janvier 2018. Wilson Mendes, 17 ans, meurt d'une décharge de gros plombs en pleine poitrine. Un fait divers de plus dans une ville habituée aux règlements de compte meurtriers. Quelques lignes dans les journaux. Puis plus rien. Un an après, ses proches cherchent toujours à comprendre.

Cette nuit-là, ils sont six avec "Willy", dans un appartement squatté depuis des mois au coeur de la cité Benza. Bloc 9, 6e étage dans l'est de la ville. Il n'est pas 02h00 quand on frappe à la porte. Wilson ouvre et s'écroule, mortellement touché. "Ils étaient en train de jouer à la PlayStation", expliquera le procureur de la République, Xavier Tarabeux.

Réponse démesurée à un tapage nocturne ? Vengeance entre bandes concurrentes pour un regard de travers ou un mot de trop ? "Un an après, nous ne savons toujours pas pourquoi Wilson est mort", lâche son père à l'AFP.

Une certitude: l'hypothèse du règlement de compte qui impliquerait trafic de drogue et guerre de territoire entre gangs, a été écartée par les enquêteurs. Au delà, c'est le flou. "La commission rogatoire délivrée par la juge d'instruction est en cours mais aucune mise en examen n'a été faite à ce jour", précise le procureur.

Les parents de Wilson, José Mendes Tavares, 47 ans, et Céline Sylva, 43 ans, lui originaire du Cap-vert, elle de l'île Maurice, n'ont pas les moyens de prendre un avocat et ne se sont pas constitués partie civile. Le couple est séparé depuis 2004. L'un à Paris, l'autre à Marseille.

Un an après, sur les lieux du drame, le PV de la brigade criminelle est toujours sur la porte d'entrée: "Assassinat en B.O. (NDLR: bande organisée), association de malfaiteurs". Mais la serrure a disparu, les scellés ont sauté et l'appartement est ouvert à tous les vents.

A l'intérieur, des détritus s'amoncellent. Dans le séjour: deux canapés et deux fauteuils renversés, une chicha, un matelas imbibé de sang, des débris de plâtre. Sur le matelas, la fiche jaunie d'alerte du SAMU appelé cette nuit-là, le "14/01/18, 01:50:03": "victime par arme à feu", "inconscient". Juste à côté, une poche de sérum vide, elle aussi tâchée de sang.

- Ze Pequeno de Rio -

Chez sa mère, le visage de Wilson est là, sur plusieurs photos encadrées. Bambin, enfant, adolescent: toujours un sourire éclatant. Ce même sourire qui irradie la photo ornant la plaque de marbre derrière laquelle il repose, case 7280, au cimetière Saint-Pierre: doudoune noire, maillot de l'équipe de foot londonienne d'Arsenal, tignasse péroxydée.

"Il souriait tout le temps, il n'était jamais triste. Depuis qu'il était bébé, je ne l'avais jamais vu pleurer", explique Priscillia, 24 ans, l'aînée des quatre soeurs de Wilson. Il y a bien cette photo de lui, ado, la mâchoire serrée: "Là, il était avec ses copains, il jouait au dur", sourit tristement sa maman.

1,55 m, 50 kg tout mouillé: "+Dadou+, c'était un poids-plume", décrit Priscillia, reprenant le surnom donné par sa grand-mère maternelle, Jeanine, à qui il demandait sans cesse de l'emmener à Maurice.

+Dadou+ est né en banlieue parisienne, le 13 novembre 2000, avant de partir à Marseille à 3 ans, avec sa mère et ses deux grandes soeurs, après la séparation des parents. Chez sa grand-mère d'abord, puis cité des Marronniers, vers 10-11 ans, dans le quartier Pont-de-Vivaux. De l'autre côté du boulevard, la cité Benza.

Ado, +Dadou+ est devenu "Willy". Sur Instagram et Facebook, c'est "Zeepeekeenio", clin-d'oeil à Zé Pequeno, gamin d'une favela de Rio devenu baron de la drogue et immortalisé dans "La cité de Dieu" du réalisateur brésilien Fernando Meirelles. Et il passe de plus en plus de temps à Benza. "Il était poli, gentil, il traînait avec cette petite meute", se souvient Giuseppe, 61 ans, un habitant de la cité.

Benza, 3 barres d'immeubles des années 50, 11 blocs de 9 étages, 328 appartements, un millier d'habitants. Loin des cités géantes des quartiers nord. Rien à voir non plus avec ces cités insalubres qui pourrissent sur pied : le crépis rosâtre des bâtiments est certes lépreux, les cages d'escaliers grisâtres. Des squelettes de deux-roues traînent bien dans un terrain vague. Mais la cité n'est pas une de ces verrues promises à la démolition.

Depuis 2017, elle est cependant sous administration judiciaire. "Un ou deux marchands de sommeil, du trafic de drogue au bloc 7. En 2013, elle était en grande difficulté, sous la coupe d'une mafia, une famille qui faisait peur à tout le monde", explique Patrick Chevreau, de la Méditerranéenne de gestion foncière, l'ex syndic: "Ils ont ruiné la cité, ils rackettaient tout le monde".

Dans un rapport de 2014 sur "les grandes copropriétés fragiles de Marseille", la Fondation Abbé Pierre alertait déjà sur la lente dégringolade de Benza, avec 650.000 euros de factures de fournisseurs impayées et au moins 200.000 euros de dettes chez les copropriétaires.

"La mort de Wilson, c'est un événement qui était largement prévisible", lâche Hichem Ben Mekhlouf, parti à 20 ans d'une cité qu'il a vue se déliter. Aujourd'hui cadre à la Protection judiciaire de la jeunesse, il était revenu à Benza en 2011 pour y monter l'association C-SAM 10 (Cap Sport Avenir Marseille 10e arr.). La tension était alors à son comble, des jeunes du quartier ayant tenté de s'approprier le terrain de foot, menaces de mort et armes à l'appui.

"Willy" lui préfère le rap de Guirri Mafia. Mais aussi les scooters "ou les filles", raconte Sébastien, 18 ans, l'un de ses cousins. Et s'il n'aimait pas l'alcool, il fumait la chicha ou des "pétards".

- "Nous avons tous échoué" -

Certes, il avait été arrêté en possession de cannabis, mais ses deux gardes à vue, c'était, assure sa mère, pour un scooter sans assurance, puis une histoire de gamin roué de coups, dossier dans lequel un de ses camarades sera condamné.

De là à se faire abattre de sang froid... "Il a pris pour un autre, parce que c'est lui qui est allé ouvrir la porte, c'était un message, une alerte", veut croire son cousin.

"Ca sert à rien de poser des questions monsieur, faut pas", lâche un de ceux qui étaient avec Wilson la nuit du drame. Avec trois autres ados, dans le local de C-SAM 10, ils se lancent dans un jeu vidéo par une belle après-midi de décembre.

"Ils ont peur", lance Kelly, 17 ans, une cousine de Wilson, qui s'en veut de n'avoir pu l'aider: "Pourtant, on a vu comment il coulait..."

"La cité avait pris le relais de la famille", témoigne Céline Corona, l'ancienne CPE du collège Pont-de-Vivaux où elle a vu passer Wilson. "Il s'est laissé +emboucaner+. Déjà en CM2, je le voyais passer devant le collège sur son vélo, il faisait l'école buissonnière. Au collège, à partir de la 4e, la plupart du temps il séchait. Toujours souriant, très gentil, jamais dans le conflit. Mais insaisissable", se souvient Mme Corona. "Nous avons tous échoué", conclut-elle.

"Il se cherchait comme on dit, mais l'école, c'était pas sa place", explique sa mère, qui déménage au coeur de Marseille début 2015, pour tenter d'éloigner son fils de Benza. Mais Wilson est aimanté. Officiellement déscolarisé, à la fin de la 3e, "Willy" suit vaguement une formation de mécano: "Il rêvait de bosser sur des scooters ou des quads", rapporte Priscillia.

Début janvier, Wilson venait d'aller au ski, pour la première fois. A la fin du mois, il devait partir au Cap Vert: "Je voulais lui montrer mon pays, lui montrer autre chose", explique son père. Et le 13 janvier 2018, sa mère l'attendait pour un repas familial. "Il a dit oui, mais il n'est pas venu".

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