Egalité des chances et Covid 19
S’il est un slogan qui fait l’unanimité dans ce pays au bord de la guerre civile, c’est bien celui de l’égalité des chances. De l’extrême droite à l’extrême gauche, qui pourrait s’opposer à ce que chaque citoyen français ait une chance égale d’accéder à n’importe quelle place dans la hiérarchie sociale, quelle que soit son origine ?
Or ce slogan cache des pièges tout-à-fait dangereux, comme le montre Vincent Le Biez, dans le lumineux ouvrage, Platon a rendez-vous avec Darwin, qu’il vient de publier aux Belles-Lettres. Pièges que le Covid 19 pourrait aggraver.
L’égalité des chances, explique Le Biez, postule un individu arraché à tous les déterminismes d’origine sociale, culturelle ou/et familiale. La réussite d’un tel individu serait alors seulement dictée par le hasard génétique et biologique, seule cause non sociale aux différences de capacité entre les individus. Si je n’obtiens pas le poste que je convoite, je devrais alors accuser la nature elle-même de m’avoir handicapé dans mon cursus honorum, comme on ne dit plus.
Pour aboutir à une vraie égalité des chances, il faudrait donc franchir une étape supplémentaire dans l’étatisme et parvenir à la maîtrise des inégalités génétiques et biologiques. Ce qui reviendrait au bout du compte à donner la même chose à chacun quelle que soit la contribution qu’il apporte à la société. Bref une sorte de revenu universel garanti à chacun du berceau à la tombe. Même les économistes les plus égalitaristes, même les régimes les plus totalitaires, ne le proposent pas.
Il faudrait aussi une intervention beaucoup plus intrusive de l’Etat dans la vie des citoyens afin de compenser la transmission du capital matériel et immatériel entre les générations. Il serait ainsi nécessaire de réduire, coûte que coûte, le temps que les enfants passent avec leurs parents au motif qu’ils ne seraient pas aptes à leur apporter un capital culturel suffisant ou au contraire qu’ils seraient suspects de vouloir transmettre un bagage trop important à leur progéniture. Ce fut l’objectif initial des kibboutz en Israël : il a été depuis longtemps abandonné, comme on le sait. Et pour cause !
« A trop insister sur l’égalité des chances, sachant qu’un système politique respectueux des libertés individuelles ne dispose pas des moyens politiques de la mettre en œuvre, il y a un risque d’ajouter du malheur à la société en créant des attentes démesurées qui se transforment en frustrations », écrit justement Le Biez
Frustrations qui risquent de dégénérer en violences de toutes sortes à mesure que les inégalités augmentent – et de fait elles ne cessent d’augmenter.
Quel rôle peut jouer le Covid 19 dans ces circonstances ?
Si l’on se réfère à l’œuvre magistrale de l’historien Walter Scheidel, qui vient d’être traduite en français (Une histoire des inégalités, de l’âge de pierre au 21ème siècle, Actes Sud ), on s’aperçoit que l’accroissement de l’inégalité sociale n’est pas vraiment nouveau. Il surgit dès que l’homme dépasse le stade de la chasse-cueillette ! Ce phénomène est observable dans toutes les sociétés depuis des milliers d’années, quel que soit le régime politique ou/et économique. Le capitalisme n’est pas plus inégalitaire que d’autres régimes économiques, contrairement à ce qu’enseignent des disciples approximatifs de Marx, toujours à la mode en France.
Seuls quatre événements peuvent stopper cette progression, voire la renverser : la guerre, la révolution, la faillite de l’Etat, la pandémie – comme par hasard personnifiées par les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse de Saint Jean – ce qui est assez troublant.
Ainsi au 20ème siècle, les deux guerres mondiales et la grippe espagnole, qui se sont soldées par des dizaines de millions de morts, ont vraiment remis les compteurs à zéro, comme l’avaient fait au 5ème siècle la chute de l’Empire romain, doublée d’une peste, et au 14ème siècle la Grande Peste à elle toute seule. Une fois la paix revenue en 1945, les inégalités sont réapparues et n’ont fait que croître pour atteindre aujourd'hui des dimensions colossales.
Pourrait-on compter sur le Covid 19 pour jouer le rôle de cavalier d’une nouvelle apocalypse. Avec seulement 2 483 413 morts à ce jour (24 février 2021), on est très loin du compte nécessaire pour rebattre les cartes du jeu social.
Bien au contraire, on observe même, à l’œil nu, que la pandémie a aggravé monstrueusement les inégalités de tous ordres, rendant encore un peu plus vain et dangereux le slogan de l’égalité des chances.
Si le Covid 19 ne fait pas le boulot, restent les trois autres cavaliers apocalyptiques : la guerre, la faillite de l’Etat, la révolution…
A noter que le changement climatique est absent des quatre cavaliers maudits. L’auteur de l’Apocalypse était-il climato-sceptique ? Un cinquième cavalier va-t-il survenir pour combler ce manque ? Bien malin qui pourrait réponde à ces questions aujourd'hui...
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