A Saint-Ouen, les habitants s'opposent à un mur anti-dealers
Murer un accès de la cité pour lutter contre le trafic de drogue? L'initiative d'une mairie de banlieue parisienne passe mal auprès de certains habitants qui ont détruit le mur anti-dealers, dénonçant un manque de concertation et des moyens mal utilisés.
"A l'affût! A l'affût!" Les cris des "choufs", les guetteurs, résonnent entre les immeubles de la cité Michelet-Bauer à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. Il faut prévenir les vendeurs positionnés devant un porche: une voiture de police vient de s'engager près de ce petit ensemble de trois bâtiments, situé à deux pas du périphérique parisien, au croisement de l'avenue Michelet, très fréquentée, et de la rue du Dr Bauer.
Depuis cette rue, l'accès à la cité se fait par un passage sous un immeuble que la municipalité a décidé de murer pour nuire au trafic. L'objectif concernant ce point de deal, l'un des dix que compte la commune, haut lieu de revente du cannabis en raison de sa proximité avec Paris, serait "d'empêcher les guetteurs de se positionner à cet endroit et de supprimer un moyen de fuite", analyse une source policière.
Mais les travaux, prévus début décembre, ont à peine eu le temps de commencer. Les ouvriers n'ont pu empiler que quelques parpaings avant que des locataires, furieux, mettent tout à terre.
Cette réaction s'explique d'abord par un problème de dialogue, comme le maire, William Delannoy (UDI), le reconnaît lui-même. "Nous n'avons pas fait correctement les choses en terme de concertation préalable", explique-t-il à l'AFP. Pour y remédier, les locataires qui le souhaitent seront reçus bientôt et jusqu'en mars à l'office HLM. "Si les habitants récusent le projet, on passera à autre chose", assure-t-il.
C'est ce qu'espèrent Asmaa, 36 ans, et Naïma, 34 ans. Elles ont lancé une pétition, signée par une centaine de locataires contre la fermeture de ce passage qui obligerait à faire un détour et rallongerait les trajets quotidiens, pour accéder à l'école en face, à l'arrêt de bus ou au stade de foot.
Les deux habitantes regrettent que l'argent destiné au mur n'aille pas à des travaux de réhabilitation "urgents" qui "amélioreraient vraiment la qualité de vie des habitants", selon elles.
Ce n'est pas un mur qui arrêtera les dealers, estiment-elles aussi: "Là, avec ce mur, c'est nous, les habitants, qui subissons. Le trafic, lui, il s'adapte".
"La politique des murs c'est toujours ridicule, on traite un symptôme mais pas la maladie", dénonce de son côté un architecte qui travaille en banlieue parisienne et préfère rester anonyme. Ce type d'intervention sur le bâti "ne fait que déplacer le problème", juge-t-il en prenant l'exemple d'une autre ville du 93, Stains, "où on avait démoli une cité, notamment pour lutter contre le trafic. Résultat: il s'est déplacé à Saint-Denis".
"Faire ce qui se fait à Saint-Ouen, c'est la pire des choses", renchérit Paul Landauer, architecte spécialiste des questions de ville et de sécurité, qui plaide pour favoriser "l'investissement de l'espace public" au lieu de "dispositifs d'empêchement".
"On pourrait faire exactement l'inverse: renforcer les usages de ce passage, faire un espace avec des bancs par exemple, de manière à ce que les habitants puissent réinvestir le lieu et peut-être que les dealers n'auront plus envie de dealer là", explique-t-il.
"Avant d'envoyer les locataires au front, il y a des choses à mettre en place", rétorque William Delannoy, qui prévoit aussi d'installer de la vidéosurveillance aux abords de la cité, comme il l'a fait sur un autre terrain de deal. Là-bas, les trafiquants "ont été obligés de changer de dispositif", assure le maire.
Une source policière abonde: les aménagements urbains de ce type "ne sont pas suffisants pour stopper le trafic, mais ils peuvent le déstabiliser".
"Peut-être que le mur ne marchera pas, mais il faut essayer", conclut le maire de la commune. "Si je ne le faisais pas, on me reprocherait d'abandonner les gens".
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