Indemnités de licenciement : vers une "tarification" de la justice prud'homale ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 11 septembre 2017 - 18:56
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Autorisé mercredi à réformer le code du travail par ordonnances, le gouvernement doit faire en août
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© FRED TANNEAU / AFP/Archives
La réforme du code du travail va réduire la marge de manœuvre des juges en matière de licenciements abusifs.
© FRED TANNEAU / AFP/Archives
La réforme du code du travail présentée fin août a suscité des réactions mitigées, notamment quant au plafonnement des indemnités prud'homales. Une mesure qui devrait aboutir à une baisse de leur montant et qui inquiète les juges car elle "tarifie" ces sommes sans tenir compte des situations individuelles, analyse en partenariat avec "FranceSoir" Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

La réforme du droit du travail n’est pas une surprise puisqu’elle a été annoncée par le candidat Macron pendant la campagne électorale. Emmanuel Macron avait prévu d'agir par ordonnances au cours de l'été 2017. Leur contenu a été officiellement présenté par le premier ministre Edouard Philippe et par Muriel Pénicaud, ministre du Travail au cours d'une conférence de presse le 31 août 2017. Il s’agit de 5 ordonnances, de 160 pages, qui devraient entrer en vigueur à la fin du mois de septembre. Une mesure forte et clivante mérite un décryptage. Celle concernant le plafonnement des indemnités prud’homales.

Le conseil des prud’hommes, qui est une juridiction paritaire composée de juges élus à la fois par les salariés et les employeurs, a une compétence d’attribution pour trancher les litiges du droit du travail. Juge de la rupture des contrats de travail, il apprécie la régularité de la procédure de licenciement, personnel ou collectif, pour raison économique ou pour des motifs inhérents au salarié. Le licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour faute grave ou pour faute lourde est donc soumis à son contrôle. Et dans l’hypothèse où le motif invoqué reproché au salarié n’est pas pertinent, ni sérieux, il peut juger le licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse ou abusif.

C’est dans ce cas de figure que le juge alloue des indemnités au salarié que les ordonnances entendent plafonner, ce qui est une nouveauté, car en droit actuel seul existe un minimum.

Différents critères sont actuellement pris en compte pour l’indemnisation du licenciement qui n’est pas justifié, à savoir l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise.

Les dommages et intérêts pour licenciement abusif sont fixés seulement en fonction du "préjudice subi" pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté et/ou dans les entreprises qui emploient moins de 11 salariés (article L.1235-5 du Code du travail).

Ce montant des dommages et intérêts est donc déterminé en fonction des éléments probatoires que le salarié verse aux débats pour démontrer son préjudice lié à la perte de son emploi (perte de revenus, difficulté à trouver un emploi, charges de famille….). Chaque situation est donc différente d’un cas d’espèce à l’autre.

L’autre hypothèse est celle du salarié dont l’ancienneté est au moins égale à deux ans et qui travaille au sein d’une entreprise employant plus de 10 salariés et qui peut prétendre au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum égale aux six derniers mois de salaire qu’il a perçu (article L.1235-3 du Code du travail).

La loi ne fixe pas de maximum d’indemnisation, et le montant peut être très important, en fonction notamment des circonstances de la rupture, et des conséquences financières de celle-ci pour le salarié.

Les juges disposent donc d’une marge de manœuvre importante et les sommes peuvent être élevées. Dans ces deux cas de figure, il y a une forte personnalisation au cas par cas des indemnités et dommages et intérêts alloués au salarié. Le dispositif actuel prévoit donc une réparation intégrale du préjudice subi qui est un principe du droit.

La réforme prévoyant un plafonnement, le préjudice sera fixé en fonction de l’ancienneté du salarié. Deux salariés licenciés dans une entreprise de moins de 11 salariés, avec la même ancienneté de trois ans, seront traités de la même manière si le plafond maximal de l’indemnisation est atteint, soit quatre mois dans ce cas, alors qu’aujourd’hui les charges de famille peuvent être prises en compte pour le calcul du préjudice financier.

L’Union syndicale des magistrats (USM) s’est émue de ce changement et a condamné la mise en place de barèmes obligatoires. Selon le syndicat, avec cette mesure, "la réparation du préjudice consécutif à un licenciement abusif se trouve ainsi tarifée en tenant compte d’un seul et unique critère: l’ancienneté du salarié". Le Syndicat regrette une "volonté de limiter la réparation des préjudices en droit du travail" et demande à ce que "les situations personnelles soient appréciées individuellement par le juge". L’USM tient également à rappeler que "la réparation intégrale du préjudice est un des grands principes du droit".

Le gouvernement doit veiller également à assurer l’égalité devant la loi des salariés qui est un autre principe essentiel du droit.

Il faut se souvenir que sous le précédent quinquennat le Conseil constitutionnel, par une décision n°2015-715 du 5 août 2015, avait partiellement censuré le barème d’indemnisation, initialement prévu par la "loi Macron" sur "la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques". Les requérants avaient alors invoqué la violation du principe d'égalité devant la loi, considérant qu’était injustifié d’instituer "une différence de traitement entre les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse en fonction de la taille de l'entreprise".

Le Conseil constitutionnel avait considéré que "le législateur a entendu, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l'employeur peut être engagée, assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l'emploi en levant les freins à l'embauche ; qu'il a ainsi poursuivi des buts d'intérêt général" mais que le critère retenu devait présenter "un lien avec le préjudice subi par le salarié ; que, si le critère de l'ancienneté dans l'entreprise est ainsi en adéquation avec l'objet de la loi, tel n'est pas le cas du critère des effectifs de l'entreprise" et donc que la loi méconnaissait le principe d'égalité devant la loi.

Un barème d’indemnisation fondé sur l’effectif de l’entreprise n’est donc pas suffisant pour réparer le préjudice subi par le salarié.

Il est intéressant de noter que le conseil constitutionnel avait repris des termes tels que "sécurité juridique" et "freins à l’embauche".

Le gouvernement a intégré ces nouvelles dispositions dans une ordonnance intitulée "prévisibilité et sécurisation des relations de travail " qui prévoit un barème différent entre les entreprise de plus ou moins 11 salariés, qui prend également en considération le critère de l’ancienneté.

Dans quelques hypothèses le barème sera écarté notamment dans le cas de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, de licenciement discriminatoire, consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes, ou en matière de dénonciation de crimes et délits, et également dans le cadre de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé.

A l'avenir, avec l'abaissement du plancher de l’indemnisation, il faut donc s'attendre vraisemblablement à une baisse généralisée du montant des dommages et intérêts.

Ces ordonnances réformant le Code du travail qui "sécurisent" la procédure prud'homale au profit des entreprises, leur donnant une plus grande "prévisibilité" du risque financier du procès, devraient également avoir un impact sur le nombre de contentieux.

La réforme de la procédure prud’homale, qui complexifie la saisine, avait déjà provoqué une baisse de près de 40 % du contentieux depuis le 1er août 2016, qui devrait s’accentuer.

L’avenir démontrera si cette réforme, saluée par les syndicats patronaux, qui modifie des principes juridiques importants, aura un réel impact, ou non, sur la baisse du chômage de masse.

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