Étiquetage des nanomatériaux sur les produits alimentaires : la Commission européenne remet sur la table une définition similaire à celle rejetée par le Parlement en 2014
SANTE - Comment définir ce qui échappe à notre perception par sa taille si infime mais qui peut constituer un danger pour la santé publique ? C’est le marathon que mène l’Union européenne (UE) depuis plus d’une décennie pour définir les nanomatériaux, c’est-à-dire les matériaux dont la taille ou la structure sont d’une dimension n’excédant pas les 100 nanomètres environ et qui peuvent être présents dans des produits alimentaires ou cosmétiques. La Commission européenne a publié en novembre un projet d’acte délégué, afin d’apporter une modification à la définition de nanomatériau énoncée par le règlement nouveaux aliments de 2015. Cet acte délégué s’appuie sur une recommandation de définition publiée en juin 2022, et qui suscite de nombreuses critiques. La cause : le champ des nanomatériaux pris en compte et le seuil de leur présence à partir duquel les produits doivent être étiquetés... ou pas.
Un projet d'acte délégué dans le droit européen est un acte non législatif adopté par la Commission européenne, visant à compléter ou modifier certains éléments non essentiels d'un acte législatif précédent, dont les éléments essentiels ne peuvent être modifiés. Cette procédure est très utilisée dans de nombreux domaines, comme le droit de la consommation et la politique agricole européenne.
Une définition jugée “restrictive”
En novembre, la Commission européenne a mis en ligne un projet d'acte délégué visant à intégrer une nouvelle définition du nanomatériau dans la législation alimentaire européenne, en particulier le règlement nouveaux aliments n°2015/2283. La définition actuelle remonte à 2011 et entend par le terme de nanomatériau “un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé contenant des particules libres, sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm”.
La recommandation de 2011 précise que “lorsque cela se justifie pour des raisons tenant à la protection de l’environnement, à la santé publique, à la sécurité ou à la compétitivité, le seuil de 50 % fixé pour la répartition numérique par taille peut être remplacé par un seuil compris entre 1 % et 50 %”. Le même document considère “les fullerènes, les flocons de
graphène et les nanotubes de carbone présentant une ou plusieurs dimensions externes inférieures à 1 nm” comme étant des nanomatériaux.
En 2014, une proposition de la Commission européenne visant à modifier la définition des nanomatériaux manufacturés a été rejetée par le Parlement européen. Cette définition suggérait qu'un nanomatériau devrait être composé “d'au moins 50 % de particules dont la taille est comprise entre 1 et 100 nanomètres”. Les eurodéputés ont rejeté cette définition car elle exclut les additifs alimentaires nanométriques qui étaient déjà sur le marché des exigences d'étiquetage.
La Commission européenne a révisé sa proposition pour en proposer une autre en 2022, cette fois-ci adoptée. Cette fois, l’UE restreint les nanomatériaux à des “particules solides”, qui “sont présentes soit individuellement, soit en tant que particules constitutives identifiables dans des agrégats ou des agglomérats, 50 % au moins de ces particules, dans la répartition numérique par taille”. La recommandation maintient la même dimension (de 1 nm à 100 nm) mais précise la forme de la particule : “allongée, fibre ou tube”.
La nouvelle définition a suscité des critiques de la part d’associations et d’ONG, qui lui reprochent le fait de ne pas prendre en compte l’ensemble des nanomatériaux comme les micelles ou les émulsions.
Tenir compte “des progrès de la science”
Dans un projet d'acte délégué publié le 30 novembre 2023, dont l’appel à contribution est ouvert jusqu’au 12 janvier 2024, la Commission européenne dit s’appuyer sur les “progrès techniques et scientifiques ou aux définitions convenues au niveau international” pour proposer une nouvelle définition des nanomatériaux. Il s’agit, en d’autres termes, d’harmoniser les différentes interprétations qui complexifient le travail de déclaration des producteurs, importateurs et marchands de produits. L’institution opte pour un acte non législatif pour modifier un élément essentiel du règlement nouveaux aliments, à savoir cette définition qui a des implications directes sur la santé publique et l'environnement.
La nouvelle proposition reprend la définition rejetée par le Parlement européen en 2014 et évoque, de nouveau, le “nanomatériau manufacturé”. Il s’agit, selon l’acte délégué, de “matériaux solides contenant des particules présentes soit seules, soit sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, et où 50 % ou plus de ces particules dans la distribution de taille basée sur le nombre” remplit les conditions de dimensions déjà évoquées ci-dessus.
Les nanomatériaux présents dans un aliment ne figureraient pas dans son étiquetage tant qu’il s’agit de micelles ou tant que les ingrédients contiennent moins de 50% de particules de taille inférieure à 100 nm.
La définition et la réglementation des nanomatériaux peuvent varier en fonction des secteurs d'activité et des réglementations spécifiques. Dans l'UE, différentes réglementations transversales, comme REACH, ou sectorielles (alimentation, cosmétiques, etc.) régissent l’étiquetage des produits contenant ces matériaux. Dans le secteur du cosmétique, les nanomatériaux sont plutôt décrits par la Commission comme un “matériau insoluble ou bio-persistant, fabriqué intentionnellement et se caractérisant par une ou plusieurs dimensions externes, ou une structure interne, sur une échelle de 1 à 100 nm”.
En France, où a été instaurée la déclaration obligatoire des nanomatériaux à travers son registre R-Nano, l'étiquetage nanomatériaux est obligatoire dès que la teneur en nanoparticules est supérieure à 10 %. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a déjà alerté, dans un rapport publié en 2022, sur la définition actuelle, évoquant des “confusions de vocabulaire” et ses difficultés à la mettre en œuvre.
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