"En France, il y aura bientôt plus de personnes qui fabriquent des armes que des voitures et des médicaments"

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Propos recueillis par Damien Durand
Publié le 02 juin 2017 - 14:24
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Un avion de combat Rafales sur le porte-avions Charles de Gaulles, le 8 janvier 2014
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© KARIM SAHIB / AFP
Le secteur de l'armement va procéder à 40.000 embauches dans les deux prochaines années.
© KARIM SAHIB / AFP
La France est devenue troisième exportateur mondial d'armement, et pourrait continuer son ascension. Dans son livre "Marchands d'armes – Enquête sur un business français" (Editions Tallandier), le journaliste spécialisé Romain Mielcarek propose une plongée précise et sans détour sur les principaux enjeux de cette industrie qui déborde largement du cadre économique.

La France a réussi à se hisser au troisième rang des exportateurs d'armes dans le monde grâce notamment à une industrie à la pointe sur pratiquement toutes les gammes de produits. Et c'est dans l'Hexagone que se tiennent certains des salons les plus importants de la profession (à commencer par celui du Bourget pour le matériel aéronautique qui s'ouvre le 19 juin).

Le business se chiffre en milliards d'euros, le tout avec la bénédiction de l'Etat et des élus locaux. Et pourtant il reste méconnu du grand public, entre fantasmes, idées reçues, méfiance ou jugement de valeurs sur ces 165.000 personnes qui sont aujourd'hui rémunérées pour fabriquer des armes "made in France".

C'est une enquête inédite que Romain Mielcarek, journaliste spécialisé défense et relations internationales propose dans Marchands d'armes – Enquête sur un business français (Editions Tallandier), où il décrit de manière limpide, et sans langue de bois, cette industrie discrète mais pas cachée. Il répond aux questions de FranceSoir sur ce business où diplomatie et gros contrats marchent main dans la main.   

 

> Lors de votre enquête, vous avez rencontré de nombreux professionnels du secteur qui expliquent tous leur fierté d'œuvrer dans cette industrie… mais qui veulent tous rester anonymes, même quand ils ne sont pas en contact avec des secrets sensibles. Pourquoi une telle crainte?

"On peut y voir trois raisons. La première, c'est la méfiance qu'ils ont par rapport à leur hiérarchie et le risque tenir un propos qui pourra leur retomber dessus. Ce n'est d'ailleurs pas spécifique à l'armement, je suis sûr que cette crainte se retrouve aussi bien chez L'Oréal ou chez Danone que chez Thales ou Dassault. La deuxième raison, c' est que ces professionnels font aussi face à la méconnaissance du grand public de leur travail. Très peu de gens ou même de journalistes connaissent vraiment les réalités de l'armement, un secteur sur lequel beaucoup d'idées reçues circulent, ce qui incite les professionnels à la retenue. Enfin, il y a une dernière raison, moins présente mais bien réelle, c'est l'inquiétude sécuritaire. Un salarié du secteur de l'armement peut aussi se ressentir comme une cible potentielle au même titre qu'un militaire".   

> Vous décrivez un secteur de l'armement qui connaît une période faste, notamment à l'export. Dans l'absolu, un citoyen "lambda", qui n'a pas d'opinion sur cette industrie, doit-il se réjouir de ce succès?

"Il y a deux manières de voir les choses. D'un côté, quand on conclut une opération commerciale avec des pays qui participent à des opérations militaires, comme peuvent l'être l'Allemagne, la Belgique  ou l'Australie, cela contribue à la sécurité collective. A l'inverse, on vend parfois à des Etats dans un contexte plus difficile à assumer, l'intérêt pour les citoyens devient moins évident bien sûr. L'exemple qui vient à l'esprit est celui de l'Arabie saoudite, et effectivement dans ce cas-là on est face à un intérêt stratégique qui n'a pas de lien avec le rapport que peuvent entretenir les Français avec les droits de l'Homme, c'est vrai".

> Vous faites le constat que si la France est puissante diplomatiquement, c'est directement lié à son statut de puissance exportatrice dans le domaine de l'armement. Vous voulez dire que si nous n'exportions pas d'armes à un tel niveau, la France régresserait sur l'échiquier mondial?

"La plupart de pays qui sont des puissances diplomatiques et qui ont une taille à peu près comparable à la France, sont tous des exportateurs d'armes. On peut citer le Royaume-Uni, l'Allemagne, voire Israël. Et ceux qui ne le sont pas, aspirent à le devenir, comme le Japon ou la Corée du Sud. Il faut bien comprendre qu'absolument tous les pays du monde cherchent les moyens d'assurer leur défense, mais seulement une dizaine ont les moyens de répondre à cette demande. Ils deviennent donc forcément des interlocuteurs privilégiés. On pourrait conserver une place majeure dans la diplomatie internationale si l'on substituait les armes par d'autres secteurs exportateurs tout aussi stratégiques comme les produits technologiques ou les matières premières. Mais pour le dire clairement, en France, et je comprends qu'on puisse le regretter, ce n'est pas le cas".

> Vous rappelez que l'ensemble de la chaîne des ventes d'armes est soumise à des autorisations délivrées par l'Etat qui, ainsi, "garde la main". Mais le pouvoir aurait-il vraiment les moyens de freiner l'expansion de l'industrie de l'armement… en admettant qu'il le souhaite?

"Vous faites bien de rappeler une idée que l'on oublie souvent, en matière de vente d'armes, la règle c'est l'interdiction (on ne peut pas en fabriquer et en commercialiser librement), et l'autorisation l'exception. Le gouvernement a donc, en théorie, le destin du secteur dans ses mains. Mais on parle aujourd'hui d'une industrie qui emploie 165.000 personnes et qui surtout annonce 40.000 nouveaux recrutements dans les deux ans à venir. En France, on aura bientôt plus de personnes employées à fabriquer des armes que des voitures et des médicaments. Dans un contexte de chômage élevé, avec des régions où l'armement peut représenter facilement un tiers des emplois industriels, personne au gouvernement ne se lancera dans une telle démarche". 

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