Au procès de l'Hyper Cacher, la "haine" des juifs et l'impossible pardon des familles

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Par Anne-Sophie LASSERRE et Valentin BONTEMPS - Paris (AFP)
Publié le 22 septembre 2020 - 17:11
Mis à jour le 23 septembre 2020 - 04:52
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Lassana Bathily, l'employé de l'Hyper Cacher, qui a aidé des clients à se cacher dans une chambre froide, arrive au palais de justice de Paris, le 21 septembre 2020
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Lassana Bathily, l'employé de l'Hyper Cacher, qui a aidé des clients à se cacher dans une chambre froide, arrive au palais de justice de Paris, le 21 septembre 2020
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"Pourquoi cette méchanceté gratuite, cette haine?" Au procès de l'attentat contre l'Hyper Cacher, les proches des victimes, tuées "sauvagement" parce que juives, ont exprimé mardi aux assises de Paris leur "colère" et leur "peur de l'avenir".

Rester ou partir? Cinq ans et demi après la prise d'otages d'Amédy Coulibaly au magasin casher de la porte de Vincennes, qui a fait quatre morts, proches et survivants font le même constat: "c'est difficile d'être juif en France", même si "la France soutient les juifs".

Certains sont restés en France, malgré la "peur" qui les tiraille au quotidien. D'autres sont partis vivre en Israël, jugé "plus sûr". Seule une partie d'entre est venue témoigner devant la cour d'assises spéciale.

Valérie Braham, veuve de Philippe Braham, un client du magasin tué par Coulibaly après avoir donné son patronyme, en fait partie. J'avais "besoin de parler de mon mari", un homme "très droit" et "respectueux", explique-t-elle.

"Je suis devenue veuve à 39 ans et j'ai peur qu'il m'arrive malheur", poursuit en sanglots cette mère de trois jeunes enfants. "Je ne sais pas ce que je vais leur raconter plus tard. Ils savent que c'est un méchant qui a tué papa, mais ils ne comprennent pas pourquoi: papa c'était le plus gentil du monde", raconte Mme Braham, silhouette svelte et longs cheveux noirs.

Ce vendredi 9 janvier 2015, Coulibaly a abattu en un quart d'heure un employé de 20 ans, Yohan Cohen, et trois clients du magasin casher, Philippe Braham, Michel Saada et Yoav Hattab, venus faire des courses pour Shabbat.

Ils "ont été assassinés, tellement sauvagement, seulement parce qu'ils étaient juifs, et c'est inexcusable", témoigne l'ex-caissière du magasin, Zarie Sibony. Partie vivre en Israël après l'attaque, elle tenait à témoigner car "il est hors de question que les gens nous oublient".

Ce départ pour Israël, Michel Saada s'y préparait début 2015, et il devait être "définitif" en dépit d'un "amour viscéral" pour la France, confie sa soeur. "Il disait +on ne peut plus rester en France quand on est juif+ et cette phrase elle revient sans cesse", ajoute-t-elle d'une voix très faible.

"Fier d'être républicain", Michel Saada était aussi "très lucide sur la menace antisémite" en France et en Europe, souligne sa soeur cadette, qui a expliqué à la cour avoir longuement hésité à se constituer partie civile après cette "épreuve" qui a "fracassé" sa famille "en mille morceaux".

- Pas de "pardon" -

Pendant les "quatre heures et quatre minutes" de la sanglante prise d'otages, Amédy Coulibaly a affirmé agir "en équipe" avec les frères Saïd et Chérif Kouachi, auteurs de l'attentat perpétré deux jours plus tôt contre Charlie Hebdo, et comptait "mourir en martyr".

Il a également dit agir au nom du groupe Etat islamique, évoqué les "guerres" menées par la France "contre le califat" ou encore la Palestine.

"Alors oui, il y a des conflits entre pays, mais moi je n'y suis pour rien, mon mari n'y était pour rien! Moi, je suis en colère et je ne pardonnerai jamais", lâche Valérie Braham.

Pas de "pardon" non plus pour Eric Cohen, le père du jeune Yohan, première victime d'Amédy Coulibaly lors de la prise d'otages.

"C'est pas possible d'enlever la vie à un enfant de 20 ans! Pourquoi cette méchanceté gratuite, pourquoi cette haine du juif?", s'emporte M. Cohen, se refusant à regarder les accusés, répartis dans les box vitrés.

Ces derniers sont jugés pour leur soutien logistique présumé aux auteurs des attentats, qui ont fait au total 17 morts. Certains d'entre eux connaissaient Coulibaly, qu'ils avaient côtoyé en prison ou dans sa ville natale de Grigny, dans l'Essonne.

"Quand vous avez perdu votre fils, c'est très difficile de se contenir", se justifie Eric Cohen, parti lui aussi vivre en Israël après les attentats. Aujourd'hui, il a "peur pour (sa) fille", "revenue en France pour raisons professionnelles".

Cette "haine", le père de Yoav Hattab, un étudiant tunisien tué à l'âge de 21 ans alors qu'il tentait de s'emparer d'une des armes de Coulibaly, "n'arrive pas à (la) comprendre" lui non plus. A Tunis, le 9 janvier 2015, "la communauté musulmane a pleuré avec moi, ce sont mes frères", rappelle le rabbin Hattab.

Les auditions des proches des victimes de l'attaque se poursuivent mercredi.

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