"Brice, 61 ans, passionné d'histoire" : redonner une identité aux morts de la rue

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Par Marine PENNETIER - Paris (AFP)
Publié le 01 avril 2021 - 08:16
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Une affiche et une photo annoncent la mort d'un SDF à Paris en février 2012. Il s'appelait Vali et avait 53 ans
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© MEHDI FEDOUACH / AFP/Archives
Une affiche et une photo annoncent la mort d'un SDF à Paris en février 2012. Il s'appelait Vali et avait 53 ans
© MEHDI FEDOUACH / AFP/Archives

Ils enquêtent pour rendre "visibles les invisibles": depuis près de vingt ans à Paris, le collectif "les morts de la rue" s'emploie à redonner une identité et leur dignité aux sans-abri décédés.

"Le point de départ de notre enquête c'est très souvent un appel qui nous dit +un monsieur est mort à tel endroit+", explique Chrystel Estela, membre depuis cinq ans du collectif. "Qui? On n'a quasiment jamais de nom, ce sont toujours des informations très sommaires."

"Une fois alertés, le processus est toujours le même : on tente d'obtenir des informations supplémentaires (nom, prénom, âge, famille...) auprès des associations sur le terrain ou des partenaires institutionnels (police, hôpital, instituts médico-légaux...)".

Parallèlement, une équipe de jeunes en service civique est dépêchée sur le terrain pour placarder des affiches "appels à témoignage" et faire un premier tour du voisinage afin de recueillir des éléments qui nourriront plus tard le blog "mémoire des morts de la rue".

Sur le site, plusieurs dizaines de portraits brossés par petites touches. On y apprend entre autres que Brice, bien connu des habitants du Ve arrondissement, était "passionné d'histoire et des grands hommes", parlait "très bien anglais avec un accent écossais" ou encore que Jemaa, "femme solaire aux yeux rieurs" avait l'habitude, elle, de se protéger du soleil l'été avec un parapluie.

"Toutes les histoires sont marquantes, même celles sur lesquelles on n'a que très peu d'éléments", estime Sara, qui achève cette semaine son service civique de six mois au sein du collectif.

"Les personnes à la rue vivent une double peine : négligés pendant leur vie, ils sont totalement effacés au moment de leur mort, donc on essaie toujours de faire exister cette personne pour qu'au moins il y ait une trace", ajoute cette étudiante de 24 ans.

- "Facéties d'enfance" -

Laisser une trace pour permettre également à des familles qui n'auraient pas été retrouvées dans l'immédiat de pouvoir s'immerger, même des années plus tard, dans les derniers mois de vie du proche décédé.

A l'image de la soeur et de la nièce de Jean-Pierre, un sans-abri âgé d'une soixantaine d'années et décédé en fin d'année dernière à Paris. Sans nouvelles de lui depuis une vingtaine d'années, elles ont retrouvé son nom sur la liste publiée sur internet par le collectif.

"Elles nous ont appelés il y a quelques semaines, elles n'ont pas été étonnées du portrait qu'on en faisait : un peu taiseux, un peu ronchonnant mais avec un air malicieux", raconte Chrystel qui leur a également remis le compte-rendu de l'inhumation sur lequel figurait une série de détails, de la météo aux textes choisis en passant par la variété de fleurs.

La prise de contact avec l'entourage est souvent la rencontre de deux mémoires, entre celles des proches qui évoquent un temps révolu et plus lointain et celles des associations et des compagnons de rue. Parfois, ces mémoires correspondent, parfois elles détonnent.

"Brosser le portrait de quelqu'un à partir de deux ou trois personnes c'est évidemment un exercice qui a ses limites, qui est très fragmentaire et daté mais ça dit quelque chose d'une personne à un moment donné", estime Chrystel, qui apprécie d'entendre après coup "les facéties d'enfance de quelqu'un qu'on a toujours connu à la rue, sous une carapace".

Relativement rapide quand la personne sans-abri est connue d'associations et de maraudes, l'identification peut parfois prendre plusieurs semaines, mois, voire ne jamais aboutir. Le temps est pourtant compté. En l'absence de famille, les sans-abri décédés à Paris sont enterrés au cimetière de Thiais (Val-de-Marne) pendant cinq ans avant d'être incinérés.

Avec 535 décès recensés en France en 2020 - un "chiffre loin d'être exhaustif" -, la tâche reste immense mais elle est "essentielle" pour éviter que ces morts ne soient pas uniquement "des statistiques", insiste la présidente des "morts de la rue", Bérangère Grisoni.

Dans le faire-part 2020 du collectif, aux côtés d'Adrien Rudy 54 ans, de Jean-Luc dit Popeye 57 ans et de Jacqueline 73 ans, il reste encore de nombreuses "femmes et hommes non identifiés" à Paris et ailleurs. Depuis début 2021, au moins 99 nouveau décès ont d'ores et déjà été recensés.

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