Covid : à la clinique du burn-out, la délicate transition du soignant au soigné

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Par Loïc VENNIN - Louhans (France) (AFP)
Publié le 01 avril 2021 - 21:47
Mis à jour le 02 avril 2021 - 20:14
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Des patients participent à un groupe de parole le 1er avril 2021 à la clinique Le Gouz, spécialisée dans le burn-out des soignants, à Louhans
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© JEFF PACHOUD / AFP
Des patients participent à un groupe de parole le 1er avril 2021 à la clinique Le Gouz, spécialisée dans le burn-out des soignants, à Louhans
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"Moi, hospitalisée? Mais non, ce sont les autres qui sont hospitalisés!": dans une clinique dédiée au burn-out des personnels de santé, on tente de convaincre des soignants épuisés par le Covid qu'eux aussi, ils ont le droit d'être malades.

Tout ce dont Virginie* se souvient, c'est que sa fille de 19 ans a appelé les pompiers, après l'avoir retrouvée "complètement paralysée" chez elle. "Je ne sais pas ce qui s'est passé. Paraît que j'ai fait des choses dangereuses pour moi et pour les autres", raconte à l'AFP l'aide-soignante de 48 ans.

Conduite aux urgences psychiatriques, on lui dit : "il faut vous faire hospitaliser". "J'ai répondu: Moi? Mais non. Ce sont les autres qui sont hospitalisés!"

Ce n'est qu'après la menace d'une hospitalisation sous contrainte que Virginie acceptera finalement de rejoindre la clinique Le Gouz, à Louhans (Saône-et-Loire), qui se dit la seule en France exclusivement dédiée au burn-out des soignants.

Virginie mettait ainsi fin à de longs mois de déni qui ont bien failli lui coûter la vie.

Employée dans un Ehpad psychiatrique, elle avait contracté le Covid-19 début octobre. Au bout de sept jours, sa cheffe l'appelle: "Faut aller au travail", lui dit-elle.

"Mais j'étais en miettes", se souvient Virginie. Depuis des mois déjà, l'épuisement professionnel s'était installé "insidieusement", comme elle le réalise maintenant. "Il y avait toujours de nouvelles exigences. On nous demandait même plus si on voulait revenir travailler alors qu'on était de repos. C'était: Il le faut".

Le Covid-19 sera la goutte d'eau qui fait déborder le vase. "On quittait le travail le soir en se demandant quel malade du Covid allait partir en premier. Le résident décédait, on l'emballait et c'était terminé. C'était violent", lâche Virginie, se souvenant avoir vu "neuf morts en deux jours".

Épuisée, frustrée de ne pas pouvoir faire "correctement" un travail qu'elle "aime", elle mène une "vie qui ne ressemblait à rien". "Je ne me lavais plus. Je ne sortais plus. Je ne faisais plus le ménage...".

- Les soignants les moins bien soignés -

Mais il faut tenir. Le matin, Virginie avale du tramadol (un opioïde). Le soir, de la vodka ou du whisky...

A son médecin traitant qui lui demande comment elle va, elle "ment". "Je n'ai pas osé en parler. On a honte. Un arrêt maladie, ça me faisait culpabiliser énormément : je donnais une surcharge de travail à mes collègues et je ne pouvais plus aider les patients".

Quand, finalement, la porte de sa chambre à la clinique Le Gouz se refermera sur elle, elle aura encore du mal à passer de l'autre côté de la maladie: "C'est très dur pour l'ego. Le soignant doit être infaillible".

"Être malade, c'est un échec quand on est soignant", confirme Julie*, 35 ans, à Le Gouz pour tendances suicidaires.

La jeune diététicienne en psychiatrie a elle aussi beaucoup "résisté". "Je ne voulais pas admettre, pour moi et mes patients".

"Accepter qu'on peut être alcoolique, qu'on peut avoir envie de mourir, ça ne fait pas partie du pedigree du soignant", confirme Agnès Oelsner, psychiatre de l'établissement.

"Les soignants poussent jusqu'aux limites, comme ce médecin généraliste qui ne sait pas dire non à un malade alors qu'il est 21H ou cette infirmière qui reste, après ses heures, pour aider sa remplaçante", énumère le docteur. Le Covid n'est ainsi "que la cerise sur le gâteau de la souffrance au travail", avertit-elle.

"50% des médecins généralistes ont ou ont eu un burn-out, contre 7% de la population. Pour les aides-soignants, c'est un tiers. Avant le Covid!", souligne le Dr Oelsner. Pourtant, la proportion des "soignants qui ne se soignent pas est largement majoritaire".

"Les soignants sont les moins bien soignés. C'est comme les cordonniers", résume Virginie.

Ainsi, même si Virginie se réjouit maintenant d'aller "mieux", c'est pour ses pairs qu'elle a peur: "J'ai des collègues dans la même situation et même plus grave, et qui continuent, avec l'alcool ou les médicaments. J'en ai vu arriver ivres au travail. Mais ils vont faire comme moi: nier."

lv/ag/cbn

* Les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat

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