La chasse aux fêtes clandestines, mission de policiers parisiens en temps de confinement

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Par Sylvie MALIGORNE - Paris (AFP)
Publié le 09 décembre 2020 - 11:49
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Des policiers de la Bac75N évacuent les participants à une soirée clandestine à Paris le 6 décembre 2020
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© THOMAS COEX / AFP
Des policiers de la Bac75N évacuent les participants à une soirée clandestine à Paris le 6 décembre 2020
© THOMAS COEX / AFP

Le confinement est encore de rigueur, et pourtant dans un appartement d'un immeuble haussmannien cossu, la fête bat son plein pour une cinquantaine de jeunes avec au menu alcool, substances aphrodisiaques et sexe, jusqu'à ce que des voisins appellent la police. Une scène devenue fréquente pour la Bac de Paris.

Chaque nuit, depuis le deuxième confinement, fin octobre, c'est le même rituel pour les équipes de la Bac75N, (la brigade anticriminalité sillonnant la nuit Paris et sa petite couronne): traquer les fêtes clandestines, comme autant de clusters en puissance.

Jérémy et Olivier (prénoms modifiés) maugréent, en sillonnant samedi les rues désertes de la capitale. "On chasse les mouches", lâche Olivier. "Alors que notre métier, c'est d'attraper les délinquants", renchérit Jérémy.

La pandémie a tout bouleversé. A l'approche de Noël, c'est la grande déprime. Alors certains jeunes bravent les interdits pour se réunir.

Une rumeur est parvenue jusqu'à la Bac75N sur l'organisation d'une fête dans un immeuble des Champs-Élysées où seraient attendues 300 personnes, avec un ticket d'entrée à 250 euros. Sur place, aucun bruit de sono audible de la rue. Aucun appel pour "tapage nocturne". "Certaines fêtes clandestines sont extrêmement bien organisées. Il y a la caisse à l'entrée, de l'alcool à volonté, des stups et plus si affinités", raconte Jérémy. Seuls les appels au 17 pour tapage permettent d'intervenir.

Deux heures plus tard, direction le XVe arrondissement, Jérémy et Olivier sont appelés en renfort pour tapage. Sur place, une cinquantaine de jeunes festoient. Il y a toutes sortes d'alcool, une grande bouteille de gaz hilarant sera abandonnée sur le trottoir. Désinhibés, les fêtards ouvrent la porte aux policiers qui restent sur le seuil. L'appartement bourgeois, loué sur Airbnb pour 300 euros, est saccagé.

"Allez, sortez par groupe de quatre et donnez vos identités au rez-de-chaussée!". Ça râle, ça crie. Des jeunes femmes court-vêtues enfilent un manteau ou une chemise ample. Chacun écope d'une amende de 135 euros pour défaut d'attestation. Une vingtaine de policiers a été mobilisée.

- "Quand on y rentre, on y reste" -

On est loin du quotidien ordinaire des équipes de la Bac75N dirigées par le commissaire Dimitri Kalinine. "Notre coeur de métier, c'est l'anti-crime, le flagrant délit, les interpellations, les violences urbaines...", dit-il. Depuis les attentats de 2015, les équipes sont formées pour faire face aux tueries de masse et s'entraînent avec les BRI (Brigades de recherche et d'intervention) et le Raid.

Beaucoup ont connu les attentats du 13 novembre. Marc (prénom modifié), 56 ans, bientôt retraité, montre une photo de lui près du Bataclan, le pantalon couvert du sang d'un collègue qu'il a sorti de la salle de spectacle. Ils étaient de ceux qui accompagnaient ce jour-là le commissaire Guillaume Cardy qui a tué un des jihadistes. Ils patrouillaient en civil.

Créée en 1993, la Bac de nuit de Paris, basée dans le XVIIe arrondissement, est auréolée d'une réputation d'excellence. Pour l'intégrer, il faut "20 ans d'expérience au moins. La formation y est continue", prévient le commissaire Kalinine, 44 ans. Tous décrivent "un esprit de corps, une famille, la fierté d'appartenir à cette Bac mythique" qui dispose de moyens. "Quand on y rentre, on y reste", résume Marc, 36 ans passés à la Bac.

Mais pendant ce deuxième confinement, ils s'ennuient, les délinquants ne courent plus les rues. Les contrôles d'attestation ne comblent pas leurs nuits (22H00 à 06H00; 4 nuits suivies de deux jours de repos, puis 4 nuits et 4 jours de repos), ni l'interception de grosses cylindrées se risquant à une course poursuite sur les Champs-Élysées quasi-déserts.

Plus au nord, place Stalingrad, le trafic de crack n'a pas cessé. Les dealers sont là, les consommateurs aussi. Les riverains n'en peuvent plus. Ceux qui le peuvent déménagent. Les Delta de la Bac (l'équipe en civil) planquent. Il y aura trois interpellations cette nuit-là, mais disent-ils, "c'est un puits sans fond".

- Toilettes à la turque -

Dans la nuit, petite pause au commissariat du VIIIe arrondissement, près de l'Élysée. Un rat passe. L'adresse est prestigieuse, mais les locaux, dans les sous-sols, sont décrépis: peinture vert pétant avec liseré jaune, toilettes à la turque pour les hommes. Les prises électriques sont cassées, le mobilier disparate. Dans une salle carrelée éclairée de néons, la photo de Xavier Jugelé, tué par un jihadiste le 20 avril 2017 sur les Champs a rejoint celles de ses collègues, Jean-Louis Breteau et Bertrand Gauthier, tués en septembre 1986 lors de l'attentat du Pub Renault.

La conversation roule sur le manque de moyens, les effectifs toujours insuffisants selon eux. Ils ne croient guère à la promesse de Gérald Darmanin d'obtenir un milliard d'euros dans le cadre du plan de relance.

Désabusés, certains laissent transparaître leur colère après les propos d'Emmanuel Macron sur les contrôles au faciès que feraient les policiers. "Une honte! C'est un lâchage", lâche l'un d'eux. Lundi, des policiers ont mené un peu partout sur le territoire des actions sporadiques pour dénoncer les déclarations du chef de l'Etat.

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