Marne : burn-out au pays des grandes cultures

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Par Dominique CHARTON - Reims (AFP)
Publié le 21 février 2019 - 09:00
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Un agriculteur moissonne un champ de blé à Escardes, dans la Marne
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© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP/Archives
Longtemps présentés comme les gagnants du secteur, les grands céréaliers de la Marne sont à leur tour plus souvent touchés par les faillites
© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP/Archives

Longtemps présentés comme les gagnants du secteur, les grands céréaliers de la Marne sont à leur tour plus souvent touchés par les faillites, n'hésitant plus à recourir à des dispositifs de soutien comme dans les plaines de Champagne crayeuse.

"C'est un vrai renversement de tendance" constate ainsi Julie Portejoie, directrice de Réagir 51, une cellule d'aide aux exploitants en difficulté dépendant de la FDSEA, qui a accompagné en 2017 32 céréaliers en détresse, contre 23 producteurs de lait.

Il s'agit à 70% d'hommes entre 45 et 64 ans dont 30% entre 45 et 54 ans.

A 43 ans, Anthony Piot s'approche du portrait-robot. Il entre dans le dispositif en 2015/2016 et y est toujours suivi. Son exploitation de quelque 125 hectares de céréales et 80 vaches allaitantes à La-Chapelle-sous-Orbais près de Sézanne (Marne), la seule qui subsiste encore dans le village, est alors au bord du gouffre, victime d'un surendettement essentiellement lié à l'achat de matériel.

Sur cette seule période 2015-2016, le pourcentage d'exploitations de Champagne crayeuse à ne plus pouvoir honorer leurs emprunts avait d'ailleurs bondi de 14% à 45% (chiffres Adasea).

Ces années-là ont correspondu à un tournant lié aux aléas climatiques, alternance de sécheresses et d'inondations, qui ont généré des récoltes médiocres et donc des revenus en baisse, alors que les cours mondiaux étaient en chute libre.

"Une année noire" se souvient Anthony Piot, lui aussi pris a piège par ses investissements d'équipement. Le décès de son père qui l'aidait sur la ferme, la surcharge de travail qui s'en est suivie et un divorce ont encore creusé les difficultés.

"J'étais vraiment en burn-out" confie-t-il aujourd'hui.

"Ce phénomène de burn-out s'amplifie" en particulier chez les céréaliers, corrobore François-Régis Lenoir, docteur en psychologie et exploitant d'une ferme en polyculture à Remaucourt (Ardennes), à une cinquantaine de km au nord-est de Reims. Au-delà du strict motif économique, il sait combien les causes de cette "fragilisation" sont multiples.

Les céréaliers connaissent à leur tour les tourments de leurs collègues éleveurs et producteurs de lait: solitude rurale, disparition des anciennes solidarités type partage de matériel, isolement familial, célibat ou divorce, excès de travail, sentiment tragique de faillir à sa lignée et questions sur la légitimité sociale de son métier à l'heure du bio et du respect animal...

"Un cocktail explosif" pour l'agri-psychologue, qui explique aussi pourquoi la mortalité par suicide des agriculteurs en France est 20 fois supérieure à la population générale (étude de référence de Santé Publique France pour 2010-2011).

Ces difficultés multiples affaiblissent la qualité des choix, parfois jusqu'à provoquer une sorte de paralysie mentale. "Certains céréaliers n'ont pas ouvert leur courrier administratif depuis deux ou trois ans" explique Julie Portejoie.

Remise à plat de la comptabilité, analyse technique, bilan psycho-social et groupes de parole animés depuis un an par un prêtre/sociologue constituent autant d'étapes proposées par Réagir 51 pour sortir la tête hors de l'eau.

"Avec ce dispositif, j'ai ouvert les yeux et vu les choses autrement" dit Anthony Piot. Ainsi a-t-il pris la décision de laisser à un autre agriculteur, "un copain", le soin de cultiver ses parcelles les plus éloignées, de baisser le nombre de ses vaches allaitantes, jusqu'à 120 en 2018, de ne pas se laisser griser par les alléchantes publicités sur les objets connectés de l'agriculture 2.0, de trouver un autre travail d'appoint...

Mais comment redonner du sens ? "Nous n'avons plus de ligne directrice" dénonce Hervé Lapie, président de la Fdsea de la Marne et du Grand Est. "Que veut l'Europe ? Le modèle familial de proximité que nous prônons ou la Grosse Bertha des Brésiliens et des Américains? Nous ne savons toujours pas!".

C'est aussi dans cette incertitude sociétale que s'insinue le lent poison du burn-out des agriculteurs. "Il y en a beaucoup plus que l'on ne pense" estime Anthony Piot. Bien davantage en tout cas à ses yeux que la centaine suivie par la cellule d'aide Réagir 51.

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