Enquête sur la guérilla au Kosovo : soulagement prudent des victimes

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Par Ismet HAJDARI avec Jovan MATIC à Belgrade - Pristina (AFP)
Publié le 14 janvier 2019 - 07:45
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Rrustem Mustafa-Remi (d) arrive à l'aéroport de Pristina pour prendre un avions pour La Haye le 13 janvier 2019
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© Armend NIMANI / AFP
Rrustem Mustafa-Remi (d) arrive à l'aéroport de Pristina pour prendre un avions pour La Haye le 13 janvier 2019
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L'attente fut longue, désespérante, mais les victimes accueillent avec un soulagement teinté de scepticisme les premières convocations par le tribunal international chargé des crimes qui auraient été commis par la guérilla lors de la guerre du Kosovo.

Après des mois d'apparent immobilisme, tout s'accélère: la presse kosovare spécule sur de premières inculpations cette semaine de vétérans de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) par les cours spéciales formées en août 2015 et installées à La Haye.

Rrustem Mustafa-Remi, 47 ans, et Sami Lushtaku, 57 ans, deux ex-commandants de l'UCK qui a mené la guerre d'indépendance contre les troupes serbes (1998-99), ont quitté dimanche Pristina, leur avocat indiquant qu'ils seraient interrogés respectivement lundi et mercredi.

Un autre, Sylejman Selimi, 48 ans, n'a pas fait le voyage en fin de semaine dernière, invoquant des raisons médicales, tandis qu'un quatrième, Remzi Shala, 54 ans, a prévenu qu'il ne répondrait pas.

En décembre, les enquêteurs du tribunal spécial -- chargés des crimes de guerre qui auraient été commis notamment contre des Serbes -- sont allés à Pristina interroger l'ancien juge militaire Sokol Dobruna, 79 ans, qui n'exclut pas une future inculpation.

Dernier conflit en ex-Yougoslavie, la guerre du Kosovo (1998-99) entre forces serbes et guérilla indépendantiste kosovare albanaise avait fait plus de 13.000 morts, dont plus de 11.000 Kosovars albanais, 2.000 Serbes et quelque 500 Roms. Belgrade ne reconnaît toujours pas l'indépendance de son ancienne province, majoritairement peuplée d'Albanais.

D'anciens responsables serbes ont été condamnés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), qui a clos ses activités il y a un an. L'ancien homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic, était mort avant le verdict.

- Serbes, opposants, Roms -

Mais aucun responsable de l'UCK n'a été condamné par la justice internationale: après plusieurs années de détention, l'actuel Premier ministre, Ramush Haradinaj, avait été acquitté en 2012, tout comme Fatmir Limaj, dont le parti (Nisma) appartient aujourd'hui à la coalition au pouvoir.

Serbes, opposants kosovars ou roms accusés de collaboration, les victimes supposées de l'UCK se sont longtemps senties oubliées. Mais en 2008, l'ex-procureure générale du TPIY, Carla del Ponte, avait évoqué dans un livre des crimes impunis.

Puis en 2010, un rapport du Conseil de l'Europe, basé à Strasbourg (est de la France), avait mis en cause l'UCK. A commencer par son chef politique, Hashim Thaçi, actuel président du Kosovo, qui réfute des accusations "motivées politiquement".

En cause, la mort ou la disparition de 500 personnes, dont 400 Serbes, ainsi que diverses exactions après le retrait des troupes serbes consécutif aux bombardements de l'Otan. Durant l'été 1999, l'UCK avait pris le contrôle de la situation au sol.

"Ce qui meurt en dernier, c'est l'espoir", réagit à Belgrade Natasa Scepanovic, 54 ans, présidente d'une association de victimes serbes du Kosovo. Le corps de son père, qui vivait à Istok (ouest), a été identifié en 2003. Sa mère reste portée disparue.

- "Dernier espoir, dernière chance" -

Beriana Mustafa, une journaliste de Pristina de 36 ans, accueille favorablement ce "dernier espoir" pour élucider l'assassinat de son père.

Xhemajl Mustafa était le conseiller du président Ibrahim Rugova (2002-06), dont une immense photo domine toujours la place principale de Pristina.

Le charisme et la légitimité historique du "père de la Nation" représentaient un obstacle dans l'ascension des chefs de la rébellion vers un pouvoir qu'ils occupent encore.

Comme d'autres proches, son conseiller Xhemalj Mustafa a été assassiné en 2000 à l'entrée de son domicile après avoir critiqué publiquement la volonté de la rébellion de monopoliser le pouvoir.

"Le tribunal est la dernière chance de faire la lumière sur les assassinats au Kosovo", observe Beriana Mustafa. Elle relève toutefois que les enquêteurs devront faire avec des preuves partielles, usées par le temps et la mort de témoins.

S'il répond à la loi kosovare, le tribunal est composée de magistrats étrangers et installé à La Haye justement par souci de protection de ces témoins.

Marinko Djuric, un Serbe de 59 ans, a perdu son père et six membres de sa famille. Lui n'est guère optimiste: "Je ne l'étais pas avant, encore moins aujourd'hui. Tous les développements suggèrent qu'il n'y aura pas de conclusions de ces dossiers".

Ramush Haradinaj a assuré qu'il répondrait favorablement à une éventuelle convocation: "Le peuple entier m'a soutenu" dans une guerre qualifiée de "juste" et "s'ils me convoquent encore, je sais que je ne suis pas seul".

Hashim Thaçi s'est lui dit prêt à répondre "à n'importe quelle heure, dans n'importe quelles circonstances, à tout moment, avec tous (ses) moyens".

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