L'ultime hommage des Sud-Coréens à Kim Bok-dong, ancienne esclave sexuelle du Japon

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Par Kang Jin-kyu - Séoul (AFP)
Publié le 01 février 2019 - 10:49
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Photo non datée de Kim Bok-dong, qui avait quatorze ans lorsqu'elle a été placée par l'armée japonaise dans une maison de passe pour soldats
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© - / Korean Council for Women Drafted/AFP/Archives
Photo non datée de Kim Bok-dong, qui avait quatorze ans lorsqu'elle a été placée par l'armée japonaise dans une maison de passe pour soldats
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Plusieurs centaines de Sud-Coréens ont accompagné vendredi à Séoul le cortège funéraire de Kim Bok-dong, qui fut une figure de proue du combat des "femmes de réconfort" après avoir elle-même été réduite à l'esclavage dans les bordels de l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

Kim Bok-dong, décédée lundi à 92 ans des suites d'un cancer, fut des décennies durant une participante assidue des rassemblements organisés à partir de 1992 devant l'ambassade du Japon pour demander à Tokyo des excuses véritables.

Elle n'avait que 14 ans quand les militaires japonais la réquisitionnèrent au domicile de ses parents pour l'emmener, soi-disant, travailler dans une usine à l'effort de guerre nippon.

Au lieu de cela, elle se retrouvera près des champs de bataille, dans des bordels où elle était contrainte du matin au soir à des relations sexuelles avec des militaires japonais, chaque jour, pendant des années.

"C'était de l'esclavage sexuel", raconta-t-elle un jour de 2013 à l'AFP. "Il n'y a pas d'autre mot."

Vendredi, des centaines de personne se sont rassemblées près de l'ambassade du Japon, point d'orgue de cinq jours de commémorations au cours desquels des milliers de personnes sont venues rendre hommage à la défunte dans un hôpital de Séoul.

Parmi les Sud-Coréens venus se recueillir, figurait notamment le président Moon Jae-in qui, il y a trois semaines, avait invité le Japon à adopter une attitude "plus humble" vis-à-vis de l'Histoire.

Les relations bilatérales entre Tokyo et Séoul, deux alliés très proches de Washington, demeurent plombées par nombre de contentieux historiques et territoriaux, pour l'essentiel hérités des décennies de la brutale occupation de la péninsule coréenne par le Japon, entre 1910 et 1945.

- "Jamais vécu comme une femme" -

On estime à 200.000 le nombre de femmes, principalement de Corée mais aussi d'autres parties d'Asie, qui furent, comme Kim Bok-dong, forcées de travailler dans des maisons de passe militaires japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale sous l'appellation de "femmes de réconfort".

Il fallut attendre les années 1990 pour que le douloureux sujet de ces esclaves sexuelles émerge véritablement en Corée du Sud, à la faveur de la montée en puissance de mouvements féministes.

Et Mme Kim est une des dizaines de femmes qui auront contribué à ce que le calvaire de ces Sud-Coréennes ne tombe pas définitivement dans l'oubli.

Le Japon avait officiellement reconnu en 1993 sa culpabilité dans l'exploitation de ces femmes avec la "déclaration Kono", du nom du secrétaire général du gouvernement de l'époque qui avait fait part des "excuses" et des "remords" de son pays.

Mais certains hommes politiques japonais, parmi lesquels le Premier ministre Shinzo Abe, ont depuis tenté d'édulcorer l'histoire remettant en question le fait que ces femmes avaient été contraintes de se prostituer.

En 2007, M. Abe avait déclenché une tempête de protestations internationales en affirmant qu'il n'existait "aucun témoignage fiable" prouvant que l'armée impériale avait directement exploité des femmes.

Vendredi dans le cortège, de nombreuses personnes brandissaient des silhouettes de papillons jaunes, symboles des victimes de l'esclavage sexuel.

La voiture transportant la dépouille de Mme Kim a observé un arrêt devant l'ambassade du Japon.

La position du Japon est de considérer que tous les contentieux et compensations ont été réglés en 1965 à la faveur de l'accord qui avait rétabli les liens diplomatiques entre Tokyo et Séoul, et qui incluait une enveloppe d'environ 800 millions de dollars d'aides et de prêts préférentiels.

Quand Kim Bok-dong rentra chez elle à la fin de la guerre, elle décida de cacher la vérité à sa famille sur le calvaire qu'elle avait vécu. Mais elle ne pouvait envisager un mariage car le traumatisme était trop fort.

"Je suis née femme, mais je n'ai jamais vécu comme une femme", confia-t-elle. Confrontée aux pressions de sa mère qui voulait qu'elle se marie, elle révéla finalement l'horreur qu'elle avait connue.

Mme Kim raconta que sa mère ne s'en remit jamais et mourut peu après.

Elle devint propriétaire d'un restaurant de poisson à Busan, dans le Sud du pays. Jamais elle ne se maria. Jamais elle n'eut d'enfant.

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