Guyane : à Cayenne, les rats traversent le bidonville

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Par AFP
Publié le 08 avril 2017 - 12:48
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Un bébé debout derrière un grillage dans le bidonville "la Matine" à Cayenne le 6 avril 2017
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© jody amiet / AFP
Un bébé debout derrière un grillage dans le bidonville "la Matine" à Cayenne le 6 avril 2017
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Baraques en tôle colorées, sols défoncés, corps criant la pauvreté : à Cayenne, il n'y a qu'un kilomètre à parcourir pour passer du centre-ville au bidonville, "la Matine", où les habitants vivent sans le comprendre le mouvement social agitant la Guyane.

"Quand il pleut, l'eau monte. Et les rats entrent dans les maisons. Les serpents aussi", raconte Ismaël Veira, 35 ans, qui, assis sur un banc de fortune, un ordinateur cabossé posé devant lui, fait hurler la musique de son pays, le Brésil, dans un enceinte crachotante.

Ses chiens gambadent tout autour, slalomant entre les ordures jonchant le sol. D'autres cabots somnolent sur le plateau d'une charrette rouillée, indifférents aux décibels. Plus loin, de jeunes enfants jouent à conduire, tout sourires, l'épave d'une auto.

"J'ai quitté mon pays il y a 13 ans pour chercher une vie meilleure. Mais ici, c'est la misère", énonce Ismaël. Puis ce père de famille, le regard mi-clos de celui qui a trop bu, les doigts recourbés sur les cigarettes qu'il fume à la chaîne, se met à sangloter. "Je suis fatigué. Ce n'est pas une vie."

La Guyane, territoire français d'Amérique du sud, coincé entre le géant brésilien et le fragile Suriname, vit une réalité différente de la métropole, faite de vagues migratoires incessantes. D'après l'Insee, 35% de sa population, soit plus de 85.000 personnes sur 250.000, est de nationalité étrangère. En 2012, 30.000 à 60.000 d'entre eux étaient qualifiés d'"illégaux" par le ministère de l'Intérieur.

A la Matine, il y a donc Kevin, un jeune du Guyana, dont "toute la famille est morte dans une épidémie en 2006". Ou encore Carlos, Péruvien de 66 ans, qui vit avec sa compagne dominicaine dans l'une des cabanes les plus propres, et pourtant si précaire, du bidonville. "On l'a achetée 2.000 euros, en ruine. Elle vaut beaucoup plus aujourd'hui. C'est notre seul héritage", confie-t-il humblement.

- Un refuge -

Il y aussi ce Bissau-Guinéen, parti d'Afrique pour atterrir au Brésil, avant de rejoindre les bas-fonds de Cayenne. Katelina, 34 ans, ancienne administratrice d'entreprise, qui a "dû partir en courant" de Colombie, s'y réfugie aussi. "Je me suis dit que ce serait le dernier endroit où la personne qui m'a fait fuir me chercherait."

Malgré un PIB par habitant moitié inférieur à celui de l'Hexagone (16.000 euros contre près de 33.000), et son statut peu enviable de département le plus meurtrier de France, avec 42 homicides en 2016, la Guyane fait figure d'oasis de paix et de prospérité pour les déshérités du continent sud-américain. Qui, une fois arrivés, peuplent la Matine, ou d'autres bidonvilles, faute de logements.

"La Guyane est une terre d'accueil. On accueille tout le monde, toutes les races. Mais là, il faut arrêter", estime la maire de Cayenne, Marie-Laure Phinera-Horth (PS), qui se dit "impuissante". Il est "impossible" que sa ville ou les communes voisines puissent "absorber toutes ces personnes", ajoute-t-elle.

Pour Matthias Géraud, un bénévole de la Cimade, il est plutôt "choquant" qu'en 2017, "des quartiers aussi insalubres" existent en France. "On compare souvent ces bidonvilles avec ceux qu'il y avait en métropole après la Seconde Guerre mondiale, observe-t-il. C'est dire le retard de développement de la Guyane."

Les décennies de sous-investissement de l'Etat sont d'ailleurs le principal motif du mouvement social agitant ce territoire depuis plus de deux semaines, sur fond de revendications sécuritaires, sanitaires et éducatives.

Depuis l'étroite ruelle traversant la Matine, où planches et palettes tapissent le sol pour éviter que l'eau des abondantes pluies n'atteigne leurs chevilles, les habitants comprennent mal cette grogne. Ou n'en perçoivent que les conséquences négatives : dans les marchés, pénurie aidant, les prix se sont envolés.

"Ici, on survit peut-être, mais c'est beaucoup mieux qu'au Brésil", lance Manoel, 45 ans. "En un jour, tu gagnes autant qu'en une semaine. Et c'est tranquille, c'est zéro violence" en comparaison avec Macapa, sa ville natale, proche de la frontière guyanaise, où "on te tue pour une cigarette", dit-il.

Clandestin malgré plusieurs demandes de régularisation, cet artisan ne veut qu'une chose, des papiers, après 15 ans de Guyane. "Et alors je serai bien ici, rêve-t-il. Je serai vraiment bien."

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