Oppenheimer : ce que l’Histoire nous enseigne en matière d’éthique de l’information

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Xavier Azalbert, France-Soir
Publié le 09 août 2023 - 14:00
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Image par Sam Williams, de Pixabay
Le 6 août 1945, plus de 140.000 personnes sont mortes à Hiroshima au Japon. Le 9 août, 74.000 autres périrent dans le bombardement atomique de Nagasaki.
Image par Sam Williams, de Pixabay

TRIBUNE/ANALYSE - Un parallèle entre la responsabilité sociale de la science et la responsabilité sociétale de l'information.

À l'ère des réseaux sociaux et d'une tentative de contrôle accru de l'information par le politique, celle-ci devient une arme puissante, probablement aussi toxique et radioactive que ne le sont les armes de destruction massive. Dans les faits, la "radioactivité" issue de la peur du "procès en complotisme" a un effet dissuasif dont le résultat est de condamner les vrais sujets et de ne pas parler des divergences avec le narratif officiel, aussi nommé story-telling.  

“Oppenheimer” est sorti au cinéma le 19 juillet dernier. Ce film réalisé par Christopher Nolan relate l’histoire de la mise au point scientifique de la première bombe atomique et son dévastateur usage. À ce propos, le journaliste et écrivain scientifique britannique Philip Ball a écrit un article intitulé “J. Robert Oppenheimer et la responsabilité sociale de la science”, publié dans la revue The Lancet. Ce dernier a attiré mon attention. Grandement. Pourquoi ? Parce que Philip Ball, qui pose la question des devoirs d’un scientifique ou d’un expert en science vis-à-vis de la sphère politique et de la société, aurait pu aussi s’interroger à propos de la responsabilité sociale “de l’information”. Une responsabilité que nous nous évertuons à assumer chez France-Soir, contre vents et marées. J'y reviendrai. 

Flash d'apocalypse

Le film nous rappelle d’abord les enjeux de la problématique posée par Philip Ball. Pendant trois heures, “Oppenheimer” nous immerge dans la course effrénée de la mise au point technique de la bombe atomique. Une arme qui peut être de dissuasion ou de destruction massive : elle révèle alors à l’humanité, telle un flash d’apocalypse, toute la brutalité du dilemme du progrès. C’est ici qu’apparaît la question de la responsabilité sociale du scientifique. Elle s’illustre concrètement dans les orientations prises et les choix effectués par ce dernier, à des moments clefs de l’histoire, face à des découvertes majeures. Des découvertes qui sonnent comme des bouleversements provoqués à l’échelle de la planète, dont les conséquences concernent l’humanité entière, ou presque. Et surgit alors la question de la responsabilité du politique par rapport à ses décisions vis-à-vis de l’usage de la science et de ses novations qui vont parfois à l’encontre de préceptes moraux établis. 

Devant l’inconnu, il faut peser le pour et le contre, par exemple au moment de recourir à une nouvelle arme sur le champ de guerre, capable d’inspirer de la terreur à un point que certains pays cesseraient toute hostilité. Pourtant, selon les travaux de certains historiens, les États-Unis n’avaient pas besoin de lancer deux bombes atomiques pour gagner la Seconde guerre mondiale (1)... En août 1945, au prix de dizaines de milliers de morts civils, ils ont surtout montré au monde entier que leur armée détenait un indicible et abominable pouvoir. Prêt à servir et à resservir, sans hésitation. Derrière Hiroshima et Nagasaki, il y a donc un homme qui n’est pas Oppenheimer, mais Harry S. Truman, le président étasunien, chef des armées américaines. Ce qui n’empêche pas le scientifique du Projet Manhattan de culpabiliser de l’utilisation meurtrière de la bombe A et de militer par la suite contre l’avènement de la bombe H. De “père de la bombe atomique”, le voilà présenté en 1954 comme un traître à la nation. Une audition de sécurité menée par les autorités de son pays vise à prouver que le scientifique est compromis avec les Soviétiques.

Voisins mesquins  

La seconde partie du film de Nolan évoque cette procédure qui a réussi, à l’époque, à lui attribuer des fautes qu’il n’avait pas commises. Oppenheimer a bel et bien eu des liens familiaux avec des communistes, ce qui est fâcheux en plein Maccarthysme. Mais il est alors motivé essentiellement dans le but d'aider son pays, les États-Unis, en tant que Juif, afin de devancer les barbares nazis dans la possession d’une arme capable de leur donner la victoire. Malgré cela, Oppenheimer est passé du rang de scientifique génial à celui d’obstructeur de la défense nationale, victime au passage de la jalousie et de la rancœur du président de la Commission de l'énergie atomique US, Lewis Strauss, en raison de bisbilles personnelles. On ennuie même les génies avec des problèmes de voisins mesquins. Robert Oppenheimer est finalement réhabilité politiquement et médiatiquement en 1963 par le président Lyndon B. Johnson. Il reçoit le prix Enrico-Fermi honorant des scientifiques de renommée internationale. Ainsi le scientifique, dans sa fonction, est tantôt utilisé par le politique, tantôt banni, puis réintégré dans la scénarisation de la vie publique. Toujours par le politique, qui en fait un héros ou un paria.

Voici un sujet, au travers de l’angle de l’article du Lancet, qui ne peut pas me laisser insensible, moi et France-Soir. Comme il existe une relation à étudier entre le monde de la science et la sphère politique, il existe inévitablement une relation entre l’information et le contexte politique, au sein duquel celle-ci doit exister. Viennent alors les responsabilités sociales liées au fait d’informer. Elles impliquent les journalistes. Cela s’est illustré amplement depuis 2020 et la gestion de la crise sanitaire. Au sein des chaînes de télévision et radio mainstream, l’information a souvent seulement consisté à relayer sans médiation, ni critique, la parole du gouvernement, de ses administrations, voire de l’industrie pharmaceutique. Ce qui n’a été rendu possible qu’avec la complicité d’une certaine idée de la science et de ses relais, pour ne pas dire idéologie, dont s’est emparé le politique pour suivre grâce à elle de tous autres desseins que la recherche, la médecine ou le soin. Et malheur au journaliste, comme au scientifique qui se sont alors opposés à un récit officiel (le fameux story-telling) ou qui se sont interrogés à propos d’un brusque abandon des réflexes médicaux bien connus en temps de pandémie ou qui ont douté du bien-fondé de l’utilisation de nouvelles technologies.  

Parole officielle et consensus social

Ils ont subi la foudre d'une grande partie des élus, des “fact-checkers” et des institutions chargées de la conformité des lois à la Constitution ou de la protection de nos libertés civiles. Quant à la justice, depuis peu, elle commence à revoir sa copie. Au sein de ce contexte politique délétère, hélas, une très grande majorité des journalistes ont été lâchement oublieux du devoir de respecter la Charte de Munich. Pour s'en rendre compte, il suffit de rappeler la sortie de Céline Pigalle, alors directrice de la rédaction de BFMTV (nommée récemment à la tête des radios locales publiques de France Bleu), qui résume toute la petite affaire :

“ll ne faut pas trop aller à rebours de la parole officielle, puisque ce serait fragiliser un consensus social !”  

Cette collaboration contre-nature, cet abandon au pouvoir au nom d’un événement présenté comme une “guerre” par ce même pouvoir a ainsi posé les bases d’un triste constat pour le devoir d’information et la liberté de la presse. Au milieu de cette nasse qui cache un entre-soi (un autre débat), des scientifiques de haut niveau, comme l’était Oppenheimer sont devenus des ennemis qu’il fallait discréditer, critiquer, attaquer à tout prix, diffamer, malmener : le prix Nobel Montagnier, le professeur Raoult. On pense aussi, s’il fallait suivre une stricte logique de comparaison au biologiste américain Robert Malone, l’un des inventeurs de la technologie ARNm. Après avoir participé à la mise au point son principe, voilà que ce dernier, après avoir pris conscience de ce qu’elle est devenue aux mains des industriels en matière de vaccination et des politiques qui en font l’usage, a décidé de lutter contre, de toutes ses forces. Le voilà désormais dénigré dans les médias, jusque dans sa page Wikipédia, un tissu de propagande et d’âneries qui n’a rien à envier aux plus sombres heures des procédés du Maccarthysme.  

Un néo-Maccarthysme sanitaire qui n’a pas encore reçu d’examen critique, y compris de la part de l’auteur de l’article publié dans The Lancet, Philip Ball. Qu’écrit ce dernier ?

“La question de la responsabilité sociale des scientifiques est parfois balayée sous le tapis aujourd'hui (…) : par exemple, en faisant écho à l'opinion supposée de Winston Churchill selon laquelle ‘les scientifiques devraient être au rendez-vous, pas au sommet’, tout en insistant sur le fait qu'ils devraient parvenir également à ‘dire la vérité au pouvoir’. L'ancien conseiller scientifique en chef du Royaume-Uni, Sir Patrick Vallance, semble adopter cette position lorsqu'il a déclaré que son devoir, pendant la pandémie de COVID-19, était de présenter aux ministres les faits sans fard, dans la mesure où ils étaient connus, et de faire tout ce qui était en son pouvoir pour s'assurer qu'ils étaient compris, mais qu'il devait ensuite accepter que les politiques qui en découlaient n'étaient pas de son ressort et qu'il ne pouvait pas les critiquer. La question sans réponse est de savoir quels sont les devoirs à l'égard du grand public. Par exemple, les conseillers scientifiques doivent-ils garder le silence sur les décisions politiques ou les actions politiques susceptibles de nuire à la santé publique ? Cette position suffirait-elle lorsqu'il s'agit, par exemple, d'armes nucléaires ou de changement climatique ? La réponse n'est peut-être pas claire ou évidente, mais la question doit être reconnue.” 

Sir Patrick Vallance est médecin, scientifique et pharmacologue. Conseiller scientifique de Boris Johnson au moment de la Covid et impliqué dans les LockDown Files (2), Sir Patrick Vallance apparaît comme un homme qui ne croit pas en l’efficacité des mesures qu’il propose, reprises par l’exécutif qui n'ignore pas non plus la bêtise de certaines décisions au point de les faire rire. En décembre 2020, il se sert d’énièmes projections apocalyptiques sur les morts à venir du Covid, estimant que 1.500 Britanniques pourraient mourir chaque jour. Ces données, inspirées par l’épidémiologiste Neil Ferguson, ont été utilisées pour ordonner un autre confinement. À tort et sans aucune logique rationnelle ou données sérieuses. 

Médiateurs de l'information

Qu’est-ce à dire ? Que si le politique peut s'emparer du scientifique et le transformer en sa marionnette, ce dernier, présenté en tout cas comme tel, peut aussi se muer en mauvais conseiller du Prince. Et ne pas se soucier de ses erreurs d’appréciations, ni écouter d'autres confrères, y compris largement supérieurs en expérience et en compétences, qui développent une analyse différente. Sir Patrick Vallance, en conflit d’intérêts avec GSK, n’avait pas à “garder le silence” devant l’action politique, comme s'en inquiète Ball.

C’est lui qui a initié un mécanisme plus politique que scientifique, et d’une façon complice. Je n’irai pas jusqu’à dire que cela est comme si Oppenheimer avait été représentant commercial en ogives nucléaires... Mais cela veut surtout dire que les scientifiques ont toujours besoin de conscience pour s’élever devant des choix mal conseillés par d’autres experts plus poreux à d’autres affects que l’amour de la science. Il en faut qui claquent la porte. Comme Oppenheimer. Il en faut qui supportent de voir une meute de médiocres satisfaits se croire permis de sonner l'hallali. Et il nous faut encore des politiques indépendants et équilibrés. Une espère rare, en voie de disparition. En somme, quoi de neuf sous le soleil ? Rien. Cette équation a-t-elle une chance d'être facilement résolue en ce qui concerne la question du réchauffement climatique, évoqué par le journaliste anglais ? Aucune. 

Reste alors ceux qui héritent d'un rôle clef. Ceux qui doivent rendre compte devant l’opinion publique de ces jeux en coulisses qui font basculer la vie de millions d’individus. Ceux qui doivent être le médiateur de l'information entre l'événement, le fait et le grand public. De façon que ce dernier, bien informé, soit capable de peser sur les choix du politique et de faire la différence entre un scientifique qui veut gagner de l'argent à millions et un autre qui veut soigner des millions de personnes.

Souvenons-nous du sort qu’a connu France-Soir durant la crise du Covid (et au-delà), à la fois de la part des médias mainstream et des autorités françaises, et de la part aussi de Google, YouTube et Cie. Malgré nos efforts pour le respect de la Charte de Munich, le guide d’éthique et bible du journaliste qui impose notamment de dire la vérité “quoi qu'il en coûte” (en l'occurrence au prix éminemment substantiel en conséquence, tant pécuniaire qu'en matière d'image), France-Soir s’est pris sur la tête la bombe atomique à base de critiques sans fondement, de diffamations multiples, de fausses nouvelles, d'injures à caractère aussi détestables que variées et mêmes d'attaques déloyales de la concurrence.

Notre patiente responsabilité

Pourtant, France-Soir, un média indépendant au seul service du devoir d'informer et les courageuses personnes qui ont souhaité le soutenir (en premier lieu nos lecteurs et donateurs sans qui rien ne serait possible), n’a voulu qu’entrer dans une course à la recherche de la vérité. Oui, ce journal voulait et veut continuer à assumer pleinement son rôle social de responsable en matière d’éthique de l’information, pour la société et ses citoyens. Comme vous le savez, amis lecteurs, au terme de très longues et coûteuses procédures, notre journal a été rétabli le 13 janvier 2023 dans son honneur de média (suspension de la décision de la CPPAP de ne pas renouveler notre certificat de média en ligne). Et le 19 juin 2023 le tribunal de Commerce de Paris condamnait Le Monde pour “concurrence déloyale par dénigrement” et à 25.000 euros (3). Quelque part, finalement, tant mieux si France-Soir a été la cible de ces attaques scélérates. Car ainsi preuve a été fournie à tout le monde la nature du projet de ce journal qui a montré que, quand on veut, quelles que soient les circonstances, on peut suivre la Charte de Munich. Qu’il est possible de ne pas céder à la pression, en France, pour exercer le métier de journaliste de façon authentique. Essayer d’atomiser ce titre historique de la presse française a probablement eu l’effet inverse auprès des lecteurs. J'espère que notre aventure inspirera d’autres journalistes et enquêteurs qui n'osaient pas jusqu’alors entrer dans cette quête de la vérité et de l’établissement des faits. Pour l'honneur de la profession et le respect du lecteur.

À titre personnel, les tentatives de disqualifier une personne par l’apposition de l’étiquette “radioactive” de complotiste et d’autres calomnies en tous genres, sont un prix à payer et une épreuve à supporter largement récompensés par le goût de voir respecté l’éthique et ses valeurs. Il faut du temps pour se débarrasser des tentatives de pollution de notre image, comme il faut du temps pour soigner une terre heurtée par la radioactivité. Il faut du temps pour sortir de l'esprit du grand public des fake-news jadis présentées par les médias mainstream comme des vérités immuables, qui ne sont en fait qu'un dogme. Mais le réel revient toujours frapper à la porte quand le mensonge a pris l’ascenseur médiatique. Le temps de la science n’est pas le même que celui de la politique. Les bobards et les tours de passe-passe se heurtent tour à tour aux faits et ne passent plus sous les radars. Il faut continuer à porter la plume là où elle heurte. Bas les masques ! En ce sens, il faut de la patience. Cela est aussi de notre responsabilité sociale.

Notes :

(1) Il m'est difficile à titre personnel de soutenir l'idée que la guerre se serait arrêtée rapidement, sans la démonstration de force étasunienne. Mais le débat historique existe. (note ajoutée le 10/08) 

(2) Les LockDown files : scandale outre-Manche lié à la divulgation dans le journal The Telegraph de 100.000 messages échangés entre l’exécutif britannique et des experts scientifiques par la journaliste Isabel Oakeshott. Cette révélation a offert au grand public un éclairage unique, côté coulisses, à propos de la gestion politico-sanitaire du Covid.

(3) Le ministère de la Culture d’une part et Le Monde d’autre part ont fait appel de ces décisions. Malgré cela, le Monde, auteurs de ces viles incriminations n’a toujours pas réglé à ce jour les 25.000 Euros.

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