Coup de fusil sur la biodiversité

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Jean-Marc Neumann et Yaël Angel, édité par la rédaction.
Publié le 26 juin 2019 - 14:44
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La dernière saison de la chasse a été émaillée de 131 accidents, dont 7 mortels, selon l'ONCFS
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© GUILLAUME SOUVANT / AFP/Archives
Un projet de loi, adopté à l’unanimité par le sénat, fusionne l’Agence française pour la Biodiversité avec l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS).
© GUILLAUME SOUVANT / AFP/Archives

Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et réglementation de la protection animale, et Yaël Angel, docteur en droit et référente du Parti Animaliste pour les Yvelines, reviennent pour France-Soir sur le projet de fusion de l'ONCFS et de l'agence française de la biodiversité et la création d'une nouvelle institution: l'Office Français de la Biodiversité et de la Chasse (OFBC).

Alors que nous sommes entrés dans la 6e extinction massive touchant près de 75% des espèces du fait de l’action néfaste de l’homme sur la planète, les députés et sénateurs français en sont encore à s’agenouiller devant les lobbies de la chasse et de l’agriculture chimique.

Un projet de loi, adopté à l’unanimité par le sénat, fusionne l’Agence française pour la Biodiversité avec l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). De cette fusion naîtrait une nouvelle institution dénommée Office Français de la Biodiversité et de la Chasse ou OFBC.

Au sein de cet office, les chasseurs deviendraient des acteurs de premier plan de la gestion de la biodiversité et détiendraient un véritable "droit de chasser". L’Etat fait ainsi un cadeau de plus aux chasseurs, après le permis de chasse à moitié prix qui creuse déjà un gouffre financier de 21 millions d’euros, devant être comblé en prélevant dans les ressources publiques.

Ce mariage sulfureux de la chasse et de la biodiversité place la faune sauvage dans un état de danger critique, sans compter que le Sénat a été jusqu’à s’attaquer aux libertés individuelles en créant le délit d’entrave à la chasse, ce, afin d’empêcher les protecteurs de la nature de s’interposer pour protéger les animaux chassés, notamment lors des cruelles chasses à courre. Les animaux sauvages seront désormais seuls face aux chasseurs.

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Le mariage « contre nature » de la chasse et de la biodiversité

 

La France présente cette singularité d’associer étroitement les chasseurs à la "gestion" de la biodiversité. La biodiversité n’a pas à être gérée et encore moins par les chasseurs. Cette vision très française est archaïque et contrevient au projet du président de la République de réformer le pays. La faune sauvage se développe et se régule naturellement pour peu que la pression de la chasse diminue ou cesse. Confier la "gestion" de la biodiversité aux chasseurs, c’est confier la clé du poulailler au renard si l’on ose cette métaphore.

Citons les amendements principaux adoptés par le sénat qui consolident ce "mariage" contre nature:

- Modification très symbolique du nom de l'office qui devient l’Office Français de la biodiversité et de la chasse (OFBC) consacrant la mainmise des chasseurs sur la biodiversité;

- Ajout dans la mission de l’OFBC de la "contribution à l’exercice de la chasse et de la pêche en eau douce durables". Cette mission antérieurement ne relevait ni de l’ONCFS ni de l’Agence Française pour la Biodiversité!

- Le conseil d ‘administration de l’OFBC garantirait au moins 10 % des sièges aux chasseurs et au moins 10% aux organisations agricoles et forestières alors que les associations de protection de la nature et de la faune sauvage sont absentes du conseil d’administration;

- Les loups sont particulièrement visés par le Sénat puisque pas moins de trois mesures sont adoptées à leur égard:

o Comptage des loups en parcs;

o L’OFBC se verrait confier la réalisation d’un avis sur l’application du plan loup;

o L’État doit fournir au parlement un rapport sur la méthodologie de recensement et de comptage des loups.

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La faune sauvage en danger critique

 

Parmi les différentes mesures qui pourraient avoir un impact délétère sur la biodiversité, nous nous attarderons sur deux points principaux: la nouvelle gestion adaptative applicable à l’ensemble des espèces et la consécration des méthodes cruelles de chasse.

 

- La gestion adaptative de toutes les espèces

Tant qu’une espèce est en bon état de conservation, elle peut être chassée. Il faut donc attendre qu’une espèce soit menacée pour limiter son prélèvement. La mise en place de cette sombre méthode date de 2018. Sauf qu’initialement, elle ne concernait que les espèces dites "chassables". Or le projet de loi a supprimé ce mot. En conséquence, TOUS les animaux sauvages seront susceptibles de relever de la gestion adaptative et donc de figurer dans la liste des espèces chassées fixée par décret. Il est impossible de comprendre la suppression du mot "chassable" autrement. Car si l’intention du projet de loi n’était pas d’élargir le champ de la chasse à toutes les espèces, pourquoi alors avoir supprimé ce mot?

Notons que le projet de loi ne s’érige ni contre l’agrainage (nourrissage par les chasseurs des animaux sauvages afin de permettre leur multiplication) ni contre les lâchers d’animaux élevés pour les chasseurs. De ce fait, les chasseurs auront non seulement un poids dans les décisions relatives à la gestion adaptative des animaux sauvages, mais encore continueront d’influer sur leur démographie pour pouvoir continuer à les tuer.

 

- La consécration des méthodes cruelles de chasse

Le texte du projet est explicite: "Les modes de chasse consacrés par les usages traditionnels à caractère régional appartiennent au patrimoine cynégétique national. À ce titre, ils sont reconnus et préservés".

On le sait, ces méthodes ne sont pas sélectives et sont donc incompatibles par essence avec une gestion adaptative, puisqu’elles peuvent entraîner la mort d’espèces en mauvais état de conservation ou en voie de disparition, ce que le projet de loi entend justement éviter.

 

Plusieurs questions viennent immédiatement à l’esprit:

o Comment peut-on oser faire entrer une tradition régionale causant la mort dans notre "patrimoine national"?

o Où sont listées ces méthodes traditionnelles et qui se charge de décider de ce qui est traditionnel de ce qui ne l’est pas?

o D’autres traditions régionales largement contestées comme la corrida vont-elles bénéficier de cette brèche ouverte par les chasseurs et accéder elles aussi au statut de patrimoine national préservé?

 

On se doute déjà des souffrances supplémentaires qu’une telle imprécision va causer aux animaux.

Les chasseurs pourront donc placer des filets, écraser des oiseaux, les piéger à la glu, les étrangler. Ce sera même un honneur au patrimoine de la nation!

On peut craindre que les usages "nationaux" soient, à fortiori, protégés par l’Etat, aussi violents soient-ils pour les animaux. La chasse à courre (notons la résurgence de la chasse à courre présidentielle) et la vénerie sous terre ont de beaux jours devant elles. Quel déni de démocratie lorsque l’on sait que 84% des français sont défavorables à ces méthodes selon un récent sondage IFOP!

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Conclusion

 

Il n’est plus acceptable au XXIème siècle de soutenir que les chasseurs contribuent à la préservation de la biodiversité. La nature, et en particulier la faune sauvage, s’autogère et se régule naturellement. La main de l’homme est de façon générale inutile. Celle des chasseurs est non seulement inutile mais nuisible.

Arrêtons de croire et de laisser croire que les chasseurs sont utiles... ce d’autant moins qu’ils sont à l’origine de lâchers de gibiers qui créent des dommages aux agriculteurs et qu’ils sont par ailleurs opposés aux grands prédateurs qui régulent la faune. Ils allument le feu pour ensuite se présenter comme les seuls garants des équilibres de la faune sauvage.

Associer les chasseurs à la gestion de la biodiversité est une hérésie que seule peut expliquer la soumission de certains élus à un lobby entendant défendre ses seuls intérêts au détriment de l’intérêt général. Armand Farrachi (Pour la séparation de la chasse et de l’état, Ed.Droits des animaux, 2008) a écrit qu’il faut séparer la chasse et l’Etat comme on a séparé l’Eglise et l’Etat.

Oui cela paraît évident tant la compromission entre les politiques et les chasseurs est profonde, nocive en ce qu’elle est attentatoire à la démocratie et à l’intérêt général.

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