"Vice" : le brillant et roublard biopic sur Dick Cheney (vidéo)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 10 février 2019 - 18:55
Mis à jour le 12 février 2019 - 18:18
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Amy Adams et Christian Bale dans le film Vice
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©Mars Films
Amy Adams et Christian Bale interprètent Lynn et Dick Cheney.
©Mars Films

CRITIQUE – Avec une transformation physique étonnante, Christian Bale interprète le rôle de l'ancien vice-président américain Dick Cheney dans le biopic "Vice", qui sort ce mercredi. Le film est l'un des favoris pour les Oscars du 24 février prochain, avec 8 nominations.

SORTIE CINÉ – "Un vice-président, ça ne sert à rien. Un vice-président se tourne les pouces en attendant que le président meure", aurait dit sa femme au moment où on lui a proposé le poste. Mais Dick Cheney, numéro-2 de George W. Bush de 2001 à 2009, a sans doute été le vice-président le plus puissant et le plus influent de l'histoire des États-Unis. C'est ce que veut démontrer le biopic Vice qui lui est consacré et qui sort ce mercredi 13 février sur les écrans français.

Après une jeunesse mouvementée, Dick Cheney (Christian Bale) entre en politique comme stagiaire au Congrès en 1968 et, sous la houlette de Donald Rumsfeld (Steve Carell), futur chef de cabinet de la Maison blanche puis secrétaire à la Défense, gravit a peu à peu les échelons: bureau à la Maison blanche sous Nixon, chef de cabinet sous Ford, élu à six reprises à la Chambre des Représentants sous l’étiquette des Républicains, secrétaire à la Défense sous la présidence de George Bush père (il supervise notamment l’opération Tempête du Désert au Koweït), PDG de la société d'ingénierie civile Halliburton spécialisée dans l'industrie pétrolière.

Puis George W. Bush (Sam Rockwell), lors de la campagne présidentielle de 2000, lui propose d'être son colistier. Dick Cheney hésite, puis accepte en exigeant "une autre conception" de ses fonctions, "avec des responsabilités plus concrètes". Bush est élu et Cheney devient alors, pendant huit ans, l'homme le plus puissant du monde –c'est le message du film– en prenant les décisions importantes, notamment lors des attentats du 11 septembre 2001 et l'invasion de l'Irak en 2003 pour détruire les pseudo-armes de destruction massive de Saddam Hussein…

Le film raconte aussi la vie familiale de Dick Cheney, âgé aujourd'hui de 78 ans: sa passion pour la pêche à la ligne, ses cinq crises cardiaques, son cas de conscience quand une de ses filles lui avoue son homosexualité et milite pour le mariage pour tous alors qu'il y est opposé. Et surtout il insiste sur l'importance de la femme de Dick Cheney, Lynne (Amy Adams), sa petite amie depuis le lycée, qui l'a aidé à changer dans les années 60 quand il était un loser: renvoyé de l'université de Yale, arrêté à plusieurs reprises pour conduite en état d'ivresse, poseur de lignes électriques. "Incontestablement, c'est grâce au tempérament ambitieux de sa femme que Dick Cheney s'est métamorphosé. Ceux qui la connaissaient à l'époque disaient que quel que soit celui qui allait l'épouser, il irait très loin. Sinon, Dick aurait mené une vie bien tranquille comme ses frères et soeurs", explique le réalisateur, Adam McKay.

Celui-ci, âgé de 50 ans, s'était spécialisé dans la comédie (d'abord à la télévision en écrivant des sketches pour l'émission Saturday Night Live, puis au cinéma) avant de devenir plus sérieux en expliquant, mais toujours sur le ton de l'ironie, la crise financière des subprimes de 2008 dans son précédent film The Big Shot: le casse du siècle en 2015.

Lire la critique: The Big Short: la crise des subprimes pour les nuls

Avec Vice –qui joue sur le jeu de mots entre "vice" et "vice-président"–, il dénonce la toute-puissance et le cynisme d'un Dick Cheney qui n'est pas décrit à son avantage. La réalisation est rusée, brillante, virevoltante, roublarde, faite de bandes d'actualité d'archives, d'images d'illustration, de scènes parodiques, de faux générique de fin en plein milieu du film, d'un narrateur mystérieux qui s'adresse directement au spectateur, de moments d'humour surréaliste, de dialogues parfois décalés, avant des panneaux finals explicatifs et lourdement moralisateurs. Le ton rappelle les films de Michael Moore, avec lequel Adam McKay a débuté à la télévision dans les années 90: c'est ironique, persifleur, donneur de leçons, didactique, politiquement correct, engagé ("liberal", dirait-on aux États-Unis, "gauchiste" en Europe: le réalisateur tente de se dédouaner de cette critique dans une amusante séquence pendant le générique de fin).

"En Amérique, on est passé du statut de pays fondé sur l’ambition et l’importance de pourvoir à sa famille, à une nation qui vénère le pouvoir et la réussite. La réussite est une fin en soi. Il n’est question que de l’individu. (…) Vice est pour moi un conte sur l’égoïsme du pouvoir et sur la façon dont on a perdu notre civisme et notre intérêt pour la nation", explique le réalisateur, aussi machiavélique et manipulateur que son personnage principal. À la fin, il mélange un peu tout, comme si Dick Cheney –qui était contre la lutte contre le réchauffement climatique, contre le droit à l'avortement, pour l'allègement des impôts des riches, pour un renforcement des pouvoirs de l'exécutif, pour l'invasion de l'Irak– était responsable depuis une vingtaine d'années de tous les maux de l'Amérique, voire de la planète.

Le film est porté par la performance bluffante de Christian Bale. L'acteur britannique de 45 ans a dû interpréter un personnage de 21 à 71 ans, en passant par les 63 ans qu'il a pendant plus de la moitié du film, a pris pour cela une vingtaine de kilos, a joué avec des prothèses de nez, de joues et de menton, a passé cinq heures de maquillage chaque jour de tournage. Oscar du meilleur second rôle masculin en 2011 pour The Fighter, il pourrait bien passer le 24 février à la récompense supérieure, celle d'Oscar du meilleur acteur pour lequel il est nommé.

Vice a récolté au total 8 nominations pour ces Oscars 2019 (voir ici les nominations), dont celles pour le meilleur film, le meilleur réalisateur, les meilleurs second rôles féminin (Amy Adams) et masculin (Sam Rockwell), et le meilleur maquillage: un travail remarquable pour faire ressembler notamment Christian Bale au vrai Dick Cheney et Sam Rockwell (voir ici l'acteur dans le film) au vrai George W. Bush (voir ici une photo de George W. Bush et Dick Cheney en 200­6).

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