L’Assemblée nationale rejette le stage de sensibilisation au respect de l’animal

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Estelle Derrien, édité par la rédaction.
Publié le 07 décembre 2018 - 18:32
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L'Assemblée nationale à Paris le 6 novembre 2018
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© Lionel BONAVENTURE / AFP/Archives
L'Assemblée nationale a rejeté de création d'un stage de sensibilisation au respect de l’animal.
© Lionel BONAVENTURE / AFP/Archives
L'Assemblée nationale a rejeté de création d'un stage de sensibilisation au respect de l’animal. L'instigatrice du projet Estelle Derrien, avocate titulaire du diplôme universitaire en droit animalier de l'université de Limoges, revient pour France-Soir sur l'échec de cette proposition inédite et novatrice.

Comme développé précédemment[1], l’amendement n°CL355 au projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, déposé par la députée Corinne Vignon afin de "renforcer la réponse pénale contre la maltraitance sur les animaux, en créant le stage de sensibilisation au respect de l’animal"[2], a été présenté le 9 novembre dernier devant la commission des lois de l'Assemblée nationale.

A cette occasion, le rapporteur du projet de loi, Didier Paris (député de Côte d'Or, LREM), a fait part de sa crainte "qu’on ouvre une porte (…) sur la multiplication des stages", proposant que l’idée soit retravaillée afin que le stage envisagé "s’insère un peu mieux, par exemple, par une phrase complémentaire d’un des stages existants". La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, souhaitait également éviter le principe "une infraction, un stage". Ayant toutefois un "avis d’encouragement par rapport à cette question du stage de sensibilisation", proposition a été faite de retirer l’amendement susvisé afin d’en présenter une nouvelle rédaction.

Lire aussi - Exclusif: vers un stage de sensibilisation au respect de l’animal

L’amendement n°CL355 a donc été retiré et deux amendements, aux versions légèrement différentes, ont été déposés a posteriori afin, non plus de créer un nouveau stage à part entière, mais pour obligatoirement "intégrer un volet de sensibilisation au respect de l’animal dans le stage de citoyenneté"[3].

Mais le 3 décembre dernier, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, tant le rapporteur au projet de loi que la garde des Sceaux, ont émis un avis défavorable à ces amendements qui semblaient pourtant aller dans le sens de leurs préconisations quelques jours auparavant devant la commission des lois. Didier Paris a ainsi notamment estimé qu’il existerait "déjà beaucoup de capacité d’intervenir en répression sur la maltraitance animale"… De son côté, la ministre Nicole Belloubet réitérait son argument selon lequel "on ne peut pas construire un stage adapté pour chaque infraction", ajoutant que les mesures actuelles permettraient d’ores et déjà de répondre aux auteurs d’actes de maltraitance animale, tant en terme de condamnations qu’au stade des mesures alternatives aux poursuites.

Les amendements ont toutefois été soutenus par plusieurs députés. Le député Eric Diard (Les Républicains) a ainsi attiré l’attention sur "une étude canadienne (qui) montre que la maltraitance vis-à-vis des animaux est liée à la maltraitance vis-à-vis des personnes". La députée Corinne Vignon avait effectivement rappelé lors de la présentation des amendements, qu’une réponse pénale adaptée pour diminuer la maltraitance animale avait pour objectif plus global de lutter contre toute forme de violence, compte tenu de ce lien entre la violence sur les animaux d’une part et la violence envers les humains d’autre part. A titre d’exemple, en 2011, l'Ordre des médecins vétérinaires du Québec avait consacré "tout un dossier à la violence en établissant un lien très clair entre celle faite aux animaux et celle faite aux humains"[4], ce qui n’est pas sans rappeler les gravures de William Hogarth intitulées "Les quatre étapes de la cruauté"... Eric Diard concluait que les amendements paraissaient "plein d’opportunité et très intéressants".

Le député Loïc Dombreval (En Marche), président du groupe d’études de l’Assemblée nationale intitulé "condition animale"[5], est quant à lui revenu sur les bienfaits constatés d’un contact avec les animaux, bien évidemment strictement encadré, afin de générer "plus qu’une alternative à la prison (…) un réveil de la conscience, une école du respect du Vivant". L’on rappellera en effet que les personnes directement en lien avec les animaux sont les plus à même de partager leurs expériences sur ce point. Le stage de sensibilisation au respect de l’animal pourrait ainsi, dans le but de limiter les risques de récidive en matière de maltraitance, être constitué d’une médiation animale. Cette dernière a progressivement été mise en place et proposée dans un but de réinsertion, à la maison d’arrêt de Strasbourg depuis plusieurs années[6], ainsi qu’au centre pénitentiaire à Alençon-Condé-sur-Sarthe[7], ou encore sur l’île de la Réunion[8].

Ces interventions ont permis de diminuer de manière significative les taux de suicide et de dépression des détenus, mais également et surtout, ce qui nous intéresse ici, l’agressivité et la violence: "Avec cette activité, ils prennent conscience de l’importance d’éduquer un animal avec de la douceur, de l’amour et du respect"[9]. Cependant, ces médiations ne sont pas obligatoires, contrairement au stage proposé, en tant que peine ou mesure alternative aux poursuites. Loïc Dombreval concluait que "la sensibilisation au respect de l’animal est à la fois une méthode de réinsertion, une garantie de bons résultats en matière de non récidive, un chemin vers le respect d’autrui et vers le retour à l’estime de soi".

Enfin, le député insoumis Ugo Bernalicis a apporté son soutien afin de combattre la souffrance animale, rappelant de surcroît le lien susvisé "entre la souffrance qu’on inflige aux animaux et la souffrance qu’on inflige aux humains". Quant à l’argument de la garde des Sceaux d’opposition au principe "une infraction, un stage", le député a considéré que cela constituerait au contraire "une réponse personnalisée adaptée à la problématique délictuelle". Le principe d’individualisation des peines[10] impose en effet de prononcer des sanctions "en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1" du code pénal[11]. Afin de l’optimiser, il paraît indispensable que les acteurs de la Justice disposent d’un éventail de sanctions adaptées à chaque espèce. Les peines éducatives peuvent constituer l’une des options offertes par le législateur, ce qui n’est malheureusement pas le cas en matière de maltraitance animale malgré la particularité de ces infractions qui impactent des êtres vivants.

Nonobstant l’ensemble de ces arguments, l’amendement n°1195, dont la rédaction était pourtant plus souple que celle de l’amendement n°832 qui a été retiré, a été rejeté à quelques voix près par les députés présents dans l’hémicycle.

L’on rappellera que la meilleure protection contre un risque de réitération d’une atteinte sur les animaux est, et doit rester, leur retrait et l’interdiction de détenir tout animal. La réponse pénale est toutefois incomplète en matière de maltraitance animale, principalement en matière de contrôle de cette interdiction de détention. Afin d’y pallier, l’idée d’une mise en place d’un permis de détention d’un animal qui serait retiré en cas de condamnation, accompagné "d’une base de données permettant de recenser les personnes interdites"[12], est pertinente, mais, seule, elle serait confrontée à une autre lacune tenant à l’absence d’accompagnement pédagogique du délinquant qui pourra en effet, le cas échéant, de nouveau acquérir un animal à l’issue d’une interdiction temporaire de détention, ou encore être en contact avec des animaux ne lui appartenant pas.

Une réponse pénale éducative matérialisée par un stage de sensibilisation au respect de l’animal permettrait, a minima, de limiter au maximum les risques de récidive, notamment à l’issue de ces sanctions. A titre d’exemple parmi tant d’autres, l’on se rappellera de la jeune fille de 19 ans qui a été condamnée au mois de janvier 2018 par le tribunal correctionnel de Pau "en plus de sa peine de prison avec sursis, d'une interdiction de détenir un chien pendant cinq ans", en raison de faits d’abandon d’un malinois et d’actes de cruauté ou sévices graves préalables à son encontre[13]. Et ce sans le moindre contrôle et encore moins suivi pédagogique quant à cette dernière peine de détention pourtant temporaire et limitée aux chiens…

Voir:

Louis Schweitzer se met au service du bien-être animal

Bien-être animal : les éleveurs assurent modifier leurs pratiques

Qu'est- ce que le bien-être animal?



[10] Cf. Cons. Const., 20 janvier 1981, n°80-127 DC ; Cons. Const., 22 juillet 2005, n°2005-520 DC ; M. Stéphane A. et autres, Commentaire de la décision n°2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier n°29

[11] Article 132-1, alinéa 3, du Code pénal, issu de la Loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales

[12] "Maltraitance : les limites à l’interdiction de détention d’un animal", http://www.animaux-online.com, le site de la rédaction du magazine 30 Millions d’Amis, 7 juin 2018

 

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