Réforme du code du travail : la CGT attaque les ordonnances devant le Conseil d'Etat
Le recours à l'article 38 de la Constitution, à savoir la procédure des ordonnances, est supposée être plus rapide que la voie législative usuelle. Le président Macron a toutefois probablement sous-estimé le risque de contentieux liée à sa réforme du code du travail.
Ce vendredi 20, la CGT a confirmé avoir attaqué, devant le Conseil d'Etat, les ordonnances. Elle a pu le faire car les ordonnances signées par le président de la République mais non encore ratifiées par le Parlement ont une valeur règlementaire (et non législative).
Alors que la loi d'habilitation avait donc été votée début juillet, la loi de ratification ne devrait être votée que fin novembre selon les propres dires d'Emmanuel Macron. Ainsi, le Conseil d'Etat va avoir du temps pour examiner le bien-fondé du recours de la CGT dont l'expérience rapporte qu'il ne faut pas mésestimer la finesse d'esprit des juristes.
L'expérience douloureuse de la taxe Hollande sur les dividendes retoquée à Paris, début octobre, par le Conseil constitutionnel et en mai dernier à la CJCE qui laisse une impasse budgétaire de 10 milliards est là pour souligner le rôle éminent du pouvoir judiciaire.
Si les ordonnances prennent effet dès leur publication au Journal officiel -on se souvient de l'aspect médiatique de leur signature par Emmanuel Macron-, elles demeurent des actes administratifs tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi. Il faudra donc tenir jusqu'à fin novembre…
Selon les termes précis du Conseil constitutionnel, les ordonnances sont "des actes de forme réglementaire" et le restent "tant que la ratification législative n'est pas intervenue" et à la condition qu'elles aient "fait l'objet du dépôt du projet de loi de ratification prévu par l'article 38 de la Constitution".
Toute ordonnance non encore ratifiée peut, par conséquent, faire l'objet d'un contentieux administratif: soit directement, soit par la voie d'un recours pour excès de pouvoir. Autant de possibilités ouvertes à la CGT dans sa contestation en bloc de cette réforme.
Comme pour les décrets, le Conseil d'État s'assure en substance que l'ordonnance dont il doit apprécier la légalité a bien été prise "dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France" (arrêt du Conseil d'État du 4 novembre 1996).
C'est là que les choses se compliquent car les principes généraux du Droit ont une large étendue qui peut venir frapper frontalement la teneur de plusieurs segments des ordonnances de 2017 modifiant le code du travail.
Compte-tenu de l'ampleur de la réforme, il est franchement plausible d'imaginer que certains articles des ordonnances ne passent pas devant le Conseil constitutionnel qui sera certainement saisi par 60 députés ou sénateurs (article 54) une fois que la loi de ratification aura été votée par la majorité LREM.
Il est crucial de garder à l'esprit que le bloc de constitutionnalité sur lequel se fonde l'analyse du Conseil constitutionnel inclut le Préambule de la Constitution de 1958 mais aussi celui plus interprétatif de la Constitution de 1946.
L'article 8 de ce dernier énonce: "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".
Au moyen de ce seul article, on peut d'ores et déjà concevoir plusieurs débats juridiques et une éventuelle censure partielle de la réforme emblématique de ce début de quinquennat.
Le nouveau monde cher au président Macron ne saurait s'exonérer du strict respect de l'Etat de droit et chacun peut tabler sur la sagacité des raisonnements de Messieurs Charasse, Jospin et du président Laurent Fabius.
L'estime réciproque entre Messieurs Macron et Fabius est connue pour être fort mince.
Dès lors, il serait très audacieux et aussi téméraire que le président de la République ne décide de saisir le Conseil avant la promulgation de la loi (article 61) ce qui ne laisse, "en cas d'urgence" demandée que huit jours aux Sages pour statuer.
Bousculer pour agir c'est parfois le meilleur moyen de provoquer un effet boomerang: l'exemple du Général de Villiers et des conditions de sa démission sont là pour rappeler qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Pour ma part, après analyse, je pense que le feuilleton des ordonnances ne fait que commencer. Tant d'articles du code du travail ont été modifiés qu'il me paraît quasiment impossible que certains ne soient pas frappés d'inconstitutionnalité pleine ou partielle.
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