Le Planning Familial, de la libération sexuelle à la libération de la reproduction sexuée

Auteur(s)
Jean-Paul Alban, pour FranceSoir
Publié le 30 août 2022 - 19:05
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2 hommes et un couffin
Crédits
ARA, Dessins D'actu. À retrouver sur http://instagram.com/arapresse
Deux hommes et un couffin !
ARA, Dessins D'actu. À retrouver sur http://instagram.com/arapresse

TRIBUNE — Êtes-vous d’extrême droite ? Le Planning Familial vous propose de le découvrir grâce à son quiz de l’été. Regardez donc la dernière affiche publiée par cette association loi 1901 dont la raison d’être historique et sociale fut au départ, à sa création au début des années 1960, le contrôle des naissances ainsi que la protection de la santé sexuelle et reproductive des femmes. Sur l’affiche, on peut lire ceci : « Au planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints ». En dessous du titre, on peut voir un dessin représentant deux hommes : l’un est un homme blanc portant une barbe et de longs cheveux gris, l’autre est un homme noir (ou « racisé ») dont le ventre gonflé indique qu’il s’agit en fait d’un « transgenre », c’est-à-dire d’une personne née biologiquement femme, mais dont l’identité de genre est masculine (oui, c'est un peu compliqué et il faut bien suivre !)

Affiche homme enceint du Planning Familial

Selon que vous réagirez positivement ou négativement à cette affiche, vous passerez donc avec succès ou non le test de l’été : vous serez rangé soit dans le camp des progressistes intelligents et bienveillants, soit dans le camp des affreux réactionnaires à front bas. Prenez bien le temps de réfléchir à votre choix ! Ou plutôt, méfiez-vous de vous-même et de vos réactions spontanées, car celles-ci sont certainement corrompues par les « stéréotypes de genre » et autres horribles vestiges du Vieux Monde.

Quoi ?! Vous avez toujours pensé que la grossesse serait l’apanage des femmes et qu’un « homme-un-vrai » ne pourrait pas porter d’enfant dans son ventre ? Vous qui vous définissez comme un mâle authentique, vous vous sentez, qui plus est, insulté et attaqué dans votre « virilité » en apprenant que vous aussi, vous pourriez un jour « mettre bas » ? Eh bien vos idées et vos réactions en disent plus long sur vous-même que sur la réalité des choses ! Il faut se mettre à la page et réactualiser vos fiches ! On n’arrête pas le progrès ! Or, non seulement vous vous trompiez lourdement, mais vous étiez en outre déjà engagé en réalité, fût-ce à votre insu, sur la mauvaise pente qui conduit tout droit au fascisme ! Il est donc temps de se reprendre. Ainsi, derrière la campagne de communication du Planning Familial se cache un débat de société qui doit devenir la prochaine ligne de partage des eaux entre les Anciens et les Modernes : à savoir entre ceux qui pensent qu’une femme et un homme sont deux êtres à la fois différents et complémentaires par nature (les pauvres…), et ceux qui savent (les bienheureux) que les genres masculin et féminin sont des constructions sociales fluides qui ne se confondent pas avec le sexe de naissance (ou plutôt le sexe « assigné à la naissance » par un méchant médecin qui a voulu abuser de son savoir médical comme si cela lui donnait du pouvoir sur les gens !). Autrement dit, si vous voulez tourner votre fauteuil dans le « sens de l’Histoire », il vous est plutôt conseillé de vous extasier devant cette affiche du « Planning », ou tout au moins de vous étonner des réactions négatives. Il est vrai que les réactions négatives ne se sont pas fait attendre du côté droit de l’échiquier politique où les valeurs familiales et les vertus traditionnelles se portent en bandoulière. Quant à la gauche, elle a joué sa partition sur ce thème imposé en volant au secours de cette campagne de communication pour le moins culottée. N’a-t-on pas immédiatement entendu Anne Hidalgo, la taulière de la social-démocratie parisienne, protester contre les « attaques haineuses » ? C’est d’ailleurs un spectacle assez étonnant de voir aujourd’hui les caciques du centre-gauche en perdition électorale courir derrière les lubies les plus farfelues et les plus éloignées des préoccupations populaires qui sont celles de la gauche radicale. Pendant que le Titanic de la gauche réformiste, celle qu’on appelait autrefois « la gauche de gouvernement », est en train de couler à pic dans les urnes, son orchestre joue de la grosse caisse médiatique en faisant résonner à pleins tubes les thématiques du gauchisme culturel et sociétal. Ainsi, la question du « genre » a pris en otage le débat politique droite-gauche dont on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’aurait pas mieux à se mettre sous la dent, surtout en ce moment…  Enfin, qualifier d’« extrême-droitisante » toute personne qui s’étonne(rait) devant cette affiche, n’est-ce pas un peu too much ? Car cela risque de faire du monde à la droite de la droite !  

"Alors qu’il s’agissait hier de pouvoir faire l’amour sans nécessairement devoir faire des enfants, il s’agit davantage aujourd’hui de pouvoir faire des enfants sans nécessairement devoir faire l’amour !"

En tout état de cause, il peut sembler assez paradoxal de voir qu’une organisation chargée de la défense des droits des femmes, et plus particulièrement de leur « santé sexuelle et reproductive » dénie à ce point aux femmes ce qui constitue leur « cœur de métier » si l’on peut dire (hélas, nous savons bien qu’en disant cela, nous ne faisons qu’aggraver notre cas !), à savoir la grossesse ou la « gestation », pour attribuer celle-ci aux hommes, et ceci au nom du « progrès ». L’anthropologue féministe Françoise Héritier, auteure entre autres nombreux ouvrages faisant autorité, de Masculin-Féminin, et qui ne saurait être soupçonnée d’ « extrême-droitisme », ne considérait-elle pas que la différence entre les sexes est à la fois inscrite dans la nature et constitutive de l’histoire de l’humanité, et que la différence sexuée entre hommes et femmes implique notamment que « seules les femmes possèdent un utérus et peuvent de ce fait porter des enfants et accoucher » (Entretien dans Philosophie Magazine du 26 septembre 2012) ? Qu’est-ce qui a pu se passer pour que le droit des mâles de porter un enfant en leur sein et d’accoucher soit désormais devenu le nec plus ultra du combat féministe ? À moins qu’il ne s’agisse ici en réalité et au fond de tout autre chose : comme par exemple de gommer les « distinctions de genre » en tant que celles-ci seraient la cause principale de l’oppression des femmes par la société ? On reconnaîtra ici une thèse liée à la désormais fameuse « théorie du genre », laquelle est de fait reprise et promue par le Planning. Celui-ci a déclaré, en effet, vouloir « casser les représentations du masculin et du féminin », c’est-à-dire « les schémas habituels attribués à l’homme et à la femme ». Le Planning entend ainsi aller au-delà de son rôle d’information et de défense de la santé sexuelle et reproductive des femmes pour œuvrer au changement des mentalités sociales en s’attaquant aux représentations anthropologiques qui président à l’organisation de la société traditionnelle et patriarcale. On est tenté de se demander si c’est bien là son rôle et si cette ambition n’est pas un peu démesurée au regard des missions qui sont officiellement dévolues au Planning. Mais surtout, on peut avoir des doutes sur le bien-fondé de la stratégie « féministe » qui consiste à tenter d’effacer la frontière symbolique et anthropologique séparant les femmes des hommes : est-il certain, in fine, que ce soit une si bonne chose pour les femmes ? Des féministes comme l’historienne Marie-Jo Bonnet ou bien l’activiste Marguerite Stern y ont vu quant à elles ni plus ni moins en réalité qu’une attaque contre les femmes. S’il est vrai qu’il n’existe aucune différence objective, et donc réelle entre un homme et une femme, ou du moins que les différences anatomiques et physiologiques entre hommes et femmes n’ont aucune importance, mais que seuls doivent compter les choix subjectifs que peuvent faire librement des individus asexués en s’identifiant eux-mêmes comme « hommes » ou « femmes », selon des critères définissant le « masculin » et le « féminin » qui peuvent eux-mêmes être définis subjectivement, de sorte que les mots « homme « et « femme » ne seraient plus que des signifiants vides, on ne voit plus très bien alors comment il serait possible de continuer à l’avenir de mobiliser des moyens collectifs, sociaux, économiques et politiques en faveur d’un groupe social, celui des « femmes », dont la réalité serait devenue aussi douteuse, incertaine et évanescente. On n’aurait plus besoin de défendre les droits des femmes à l’avenir, puisque les femmes auraient tout simplement disparu – comme les hommes d’ailleurs !

Allons plus loin. Il est assez logique au fond que le Planning Familial, cette organisation dont le but premier est de promouvoir et de garantir la santé sexuelle et reproductive, veuille placer la sexualité et la reproduction humaines sous le contrôle de la science et de la technique médicales pour en améliorer les conditions. Or, demandons-nous en quoi le fait de promouvoir le « transgenrisme » ou la « fluidité des identités de genre » serait bénéfique pour la santé sexuelle et reproductive et en quoi cela relèverait d’une démarche médicale, scientifique et technique ? Il y a là en réalité un glissement sémantique et conceptuel qui nous fait passer subrepticement d’une question de fait à une question de droit, d’une question portant sur les moyens techniques à une question portant sur les fins et les valeurs de notre société : car il ne s’agit plus ici simplement de corriger, grâce aux moyens offerts par la science et la technique médicales, les défauts ou les défaillances de la sexualité et de la procréation humaines, mais de modifier la nature même de la sexualité et de la reproduction humaine, lesquelles impliquent nécessairement la différence et la séparation des sexes ou la sexuation de l’espèce. En adoptant l’idéologie du « transgenrisme », laquelle sépare l’identité sexuelle de l’identité de genre et fait du masculin et du féminin de pures constructions sociales sans fondement biologique ni physiologique, le Planning Familial tend à considérer que la reproduction sexuée ne serait au fond qu’un simple accident historique, social et culturel, voire une anomalie à corriger ou une espèce de maladie à soigner, et non une donnée anthropologique fondamentale, nécessaire et incontournable. Autrement dit, la reproduction et la sexualité tendent de plus en plus à se séparer l’une de l’autre : tandis que la médecine scientifique et technique tend de plus en plus à s’emparer de la première pour en prendre le contrôle exclusif, la seconde est de plus en plus considérée comme une pratique purement récréative, laissée au libre arbitre et aux fantasmes des individus, et surtout déconnectée des contraintes reproductives. Schématiquement, on pourrait dire que le Planning eut d’abord pour mission dans les années 1960 de libérer la sexualité des femmes (et donc indirectement aussi celle des hommes) des contraintes de la reproduction (ceci fut rendu possible grâce aux moyens techniques de contraception et d’avortement qui furent légalisés dans les décennies 1960-70), tandis qu’il s’agirait plutôt aujourd’hui, à l’inverse, de libérer la reproduction humaine des contraintes de la sexualité. Alors qu’il s’agissait hier de pouvoir faire l’amour sans nécessairement devoir faire des enfants, il s’agit davantage aujourd’hui de pouvoir faire des enfants sans nécessairement devoir faire l’amour ! Or, on peut ainsi craindre que la médecine scientifique et technique se contente de moins en moins à l’avenir de jouer les seconds rôles dans la reproduction humaine, qu’elle ne se satisfasse plus seulement d’« assister » médicalement la procréation pour tenter bien davantage d’en assumer le pilotage complet, de la conception de l’embryon jusqu’à la livraison du produit fini. Ainsi, les entreprises qui ont une longueur d’avance sont elles-mêmes déjà sur les rangs pour proposer leurs services à de futurs clients en quête de « parentalité », et le transhumanisme fournit d’ores et déjà une légitimation idéologique aux manipulations de laboratoire des docteurs fous de l’amour.          

Lire aussi : Qu'est-ce qu'un wokiste modéré ?    

Or n'est-ce pas là, en définitive, l’objectif ultime : ôter aux humains le soin et surtout le souci de la reproduction sexuée afin de les confier à des médecins, des experts et des techniciens qualifiés – supposés mieux qualifiés, en tout cas, que le commun des mortels, c’est-à-dire vous et moi ? Et, n'est-ce pas là un vieux rêve ou un fantasme récurrent des mortels : une procréation qui se passerait de l’accouplement des sexes et du coït, ce spasme bestial et dégoûtant, cette scène primitive obscène d’où nous tirons (presque) tous, notre origine ? Une religion a même offert aux humains l’image sainte d’une mère ayant connu l’enfantement sans perdre sa virginité. Après tout, la sexualité a toujours été un fardeau et une source d’angoisse pour l’humanité, et ce, depuis l'Antiquité. Comme l’écrit laconiquement l’écrivain Pascal Quignard, dans une formule qui donne son titre à l’un de ses excellents ouvrages : « le sexe est lié à l’effroi ». « Pourquoi, se demande encore l’écrivain, la nature a-t-elle divisé en deux, à moins deux milliards d’années, les espèces et les a-t-elle soumises à cet héritage très ancien dont la fonction est aussi aléatoire qu’imprévisible, qui laisse l’origine de chacun toujours incertaine, qui hante les corps et obsède les âmes ? Ni les plantes, ni les lézards, ni les astres, ni les tortues ne sont soumis pour leur reproduction à une relation libidineuse qui mobilise beaucoup de durée et qui contraint à additionner à la fois la quête, la sélection visuelle, la cour, l’accouplement, la mort (ou la proximité de la mort), la conception, la grossesse et la parturition » (P. Quignard, Le sexe et l’effroi, Gallimard, 1994). Une sexualité et des amours « gérées » par la science médicale seraient certainement beaucoup moins aléatoires et beaucoup mieux maîtrisées, beaucoup plus propres et beaucoup moins obscènes aussi, et de ce fait elles nous feraient perdre moins de temps et d’énergie en palabres, en parades nuptiales, en coïts, en disputes comme en douleurs de toutes natures, en angoisses et en souffrances, bref, elles nous épargneraient toutes ces vaines dépenses que nous pourrions alors réaffecter à d’autres missions plus urgentes et plus utiles… Ne doutons pas que le soulagement du fardeau de la reproduction sexuée, s’il nous est un jour offert par la science médicale, séduira beaucoup de monde ! Et s’il est vrai, comme l’affirmait Lucrèce, philosophe épicurien romain, auteur d’une célèbre diatribe « contre l’amour » dans son traité Sur la nature, que la passion amoureuse est une maladie, un mal ou une « blessure secrète », alors on comprend mieux qu’une organisation qui a pour but de préserver la santé publique se donne pour tâche de nous en guérir. Et, nous guérir si possible par les moyens les plus radicaux : c’est-à-dire en s’efforçant d’abolir la différence des sexes qui imposait jusqu’ici ses dures et pénibles conditions à la reproduction humaine, et ce, afin de nous rendre pleinement libres et disponibles pour les innombrables plaisirs d’une sexualité purement récréative et entièrement déconnectée de cette écrasante responsabilité qui consiste à devoir s’accoupler pour donner la vie à un être humain. « Car éviter l’amour, écrivait Lucrèce, ce n’est pas se priver/ des plaisirs de Vénus, mais c’est tout au contraire/En profiter à fond sans en avoir les peines » (De natura rerum, Livre IV).       

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