Débâcle au Sahel : c’est ce qu'annonce la mort de Déby

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Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir
Publié le 23 avril 2021 - 18:02
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Guerre du Sahel
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MARIE WOLFROM / AFP
Au Sahel, la mort d'Idriss Déby complique un peu plus les choses.
MARIE WOLFROM / AFP

CHRONIQUE - On n’ose pas le dire, mais il ne pouvait y avoir de pire nouvelle pour l’avenir de l’armée française au Sahel que la mort d’Idriss Déby, dictateur du Tchad depuis plus de trente ans, tué, dit-on, lors d’un accrochage avec des rebelles le 19 avril 2021.

L’Elysée a reconnu lui-même l’importance de la perte de cet allié dans la guerre contre le djihadisme en Afrique, osant saluer un « « ami courageux », « qui a œuvré sans relâche pour la sécurité du pays et la stabilité de la région durant trois décennies ». La ministre des armées, Florence Parly, a rajouté une couche dans l’aveu de faiblesse de ces hommages posthumes en déclarant illico que la France a perdu "un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ».

En effet, peut-on lire dans la presse, « le dictateur tchadien était l’allié le plus solide des Occidentaux contre le terrorisme dans cette région tourmentée d’Afrique, où l’ancienne colonie française entourée d’Etats faillis faisait jusqu’ici figure d’îlot de relative stabilité » …

Notons d’abord une différence essentielle entre la disparition d’un chef terroriste, fût-il aussi puissant qu’un Abou Bakr al-Baghdadi, le célèbre leader islamiste abattu par les Américains le 27 octobre 2019, et le décès d’un chef d’Etat, tel qu’Idriss Déby. Nos matamores se glorifient qu’une tête de l’hydre terroriste soit tranchée, mais elle est aussitôt remplacée par une autre, qui était sans doute sa rivale et qui est tout aussi dangereuse. Par contre, un chef d’Etat de la taille de Déby ne se remplace pas du jour au lendemain, d’autant que des rumeurs courent déjà selon lesquelles le dictateur tchadien ne serait pas mort au combat, mais aurait été assassiné.

En trente ans de pouvoir, Déby avait su constituer la meilleure armée de l’Afrique francophone. En conséquence, c’est au Tchad que se trouvait le principal poste de commandement de l’opération « Barkhane » (le nom de l’intervention de l’armée française au Sahel contre les djihadistes). C’est aussi le Tchad qui est le plus important contributeur de la « force conjointe du G5-Sahel » réunissant le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, et le Tchad. Ce dernier pays fournit en effet 1 850 soldats sur les 6 000, et ce sont les plus solides d’une coalition, plutôt hétéroclite, depuis sa création, en 2017.

Les soldats tchadiens sont aussi les plus engagés au sein de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Ils sont au nombre de 1 500 hommes sur 13 000 casques bleus. Ce sont les plus combatifs, si l’on en juge par le nombre de morts au combat. De fait, sur le monument aux morts de la Minusma, les Tchadiens sont ceux qui comptent le plus de noms : 75 soldats tués depuis 2013. Aussi bien Idriss Déby était-il considéré à Paris comme dans les capitales sahéliennes comme un pilier de la « stabilité » régionale. Ce pilier s’est effondré…

Même l’immense Nigéria aux 200 millions d’habitants (contre à peine 20 au Tchad) redoute les conséquences de la mort brutale du leader tchadien. Muhammadu Buhari, le chef d’Etat nigérian, a rendu hommage au disparu, reconnaissant que le décès de Déby laisserait un « grand vide » dans le combat contre le djihadisme de Boco Haram qui prospère dans la région, particulièrement à la frontière commune au Nigeria et au Tchad. Les troupes tchadiennes avaient en effet joué un rôle essentiel pour chasser Boko Haram des principales villes de l’Etat de Borno, aux confins du lac Tchad, lors d’une importante campagne militaire menée en 2015 dans le cadre d’un accord de coopération régionale. La disparition brutale de Déby va les faire revenir pour répandre de nouveau la terreur : massacres, pillage, viols, enlèvement d’enfants…

Nos lecteurs savent que la guerre du Sahel est perdue. Mais ce qu’annonce la mort, voire l’assassinat de « notre ami tchadien de trente ans », est bien pire : la débâcle de Barkhane.

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