Banque : les établissements en ligne vont-ils tuer pour de bon les agences traditionnelles ?
En 1978, le rapport de Simon Nora relatif à l'informatisation de la société française affirmait: "La banque pourrait bien être la sidérurgie de demain". Depuis deux à trois ans, cette sombre prévision concernant les emplois dans le secteur bancaire se réalise, jour après jour, devant nos yeux. Des leaders de la banque traditionnelle ne cessent d'annoncer des plans de contraction d'effectifs qui se comptent par dizaines de milliers tandis que le business model de la banque de détail est manifestement à inscrire au passé du secteur. Des centaines d'agences ferment (LCL, Crédit Agricole, HSBC, BNP Paribas, Barclays, etc) et la concurrence est nettement plus vive comme le démontre, par exemple, le compartiment des crédits immobiliers. En matière de banque traditionnelle, le quatuor de tête demeure le suivant: Crédit Agricole (26 millions de clients), Caisses d'Epargne (20 millions), Crédit Mutuel (12 millions) et la Banque Postale (10 millions).
La digitalisation du secteur permet évidemment de centraliser les ordres et de générer des flux automatisés. Le gestionnaire de compte ne traite donc plus les opérations courantes et se contente d'un suivi commercial ponctuel. D'une certaine façon, nous sommes passés de l'ère du boulanger au temps des notaires. En effet, il était fréquent de se rendre en agence: désormais, c'est exceptionnel et l'essentiel est fait via des connexions sécurisées sur Internet. Ce changement de fréquence (d'une visite pluri-hebdomadaire à moins que mensuelle), cette disruption dans les rapports physiques clients-banques séduit particulièrement les Millenials et à l'inverse déplait à la clientèle des plus de 70 ans qui appréciaient le charme théorique des contacts humains.
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Le constat est de plus en plus simple: les banques traditionnelles ne parviennent pas à élargir leur base de clients depuis 2014 qui sont –au demeurant- de moins en moins captifs. Les banques en ligne sont, quant à elles, en phase dynamique: entre 2014 et 2017, elles ont attiré plus de 245.000 clients. Le quatuor de tête est le suivant: ING Direct et Boursorama pour chacun un million de clients, puis Axa Banque et Fortuneo pour chacun 700.000. La technologie bouleverse le paysage concurrentiel. Ainsi, les ambitions d'Orange Bank sont cohérentes avec les nouveaux systèmes de paiement via un smartphone. Compte-tenu de la surface financière de son groupe d'appartenance, Orange Bank a pu faire des gestes commerciaux non négligeables. A titre d'exemple, le montant des agios (8%) est dans la fourchette basse tandis qu'il n'est perçu aucune commission d'intervention en cas de dépassement de découvert.
A ce stade, il faut avoir en tête le fait que détenir une banque va être un avantage concurrentiel considérable pour le groupe Orange. Un parallèle doit être établi avec le secteur automobile qui dispose de banques intra-groupes facilitant les kits de financement à leurs clients et –en prime- de gagner de l'argent. Ainsi Volkswagen (même après l'épisode des logiciels viciés) dégageait plus de 2 milliards de résultat net via sa banque. Quand Orange va adresser des offres à ses quelques 28 millions de clients, ce groupe va rapidement rattraper ou dépasser les leaders de la banque en ligne tout en disposant de nouvelles facultés de réaliser, en interne, des opérations de centralisation de trésorerie: conventions d'omnium ou procédures de cash pooling. D'autant qu'il a une base de 500.000 clients venus du rachat de Groupama Banque.
Aller plus loin: Entre start-ups et Orange Bank, les banques en ligne "historiques" cherchent leur place
L'irruption d'Orange Bank intervient, de surcroît, au moment où une innovation législative induit la portabilité du compte bancaire ce qui rendra plus facile les changements d'établissements pour les clients (loi Macron ). En moyenne, seuls 5% des consommateurs modifient leur domiciliation bancaire. A ce stade du raisonnement, il faut citer le cas d'une néo-banque en ligne, à savoir "le Compte Nickel", qui revendique plus de 800.000 clients. "Le compte sans banque" est le slogan du "Compte Nickel" qui est en fait un compte de domiciliation sans exigence de seuils de revenus, sans découvert ni crédit. Après un succès rapide via le réseau des débitants de tabac, le Compte Nickel est désormais détenu à 95% par BNP Paribas: les 5% restants étant détenus par la Confédération des buralistes. De même Hello Bank qui affiche une belle performance est aussi la banque en ligne de BNP Paribas sans que la marque incontestable que constitue cette dernière ne soit mise en avant.
L'analyse stratégique du secteur est donc plus délicate à accomplir que prévu car de "vieux" établissements ont su investir le champ assez vierge de la banque en ligne. En 1973 le slogan: "BNP, pour parler franchement, votre argent m'intéresse" avait rencontré l'oreille du public. Désormais, c'est ApplePay, les cartes de crédit des grands distributeurs ou les cartes prépayées sans solde débiteur possible qui sont les vedettes des turbulences concurrentielles. Une chose est acquise, les banques en ligne ne peuvent que progresser et faire migrer des clients issus de l'horizon de la banque de détail.
Evidemment, il est essentiel de capter que cette migration ne concerne que le "daily business" et sa "convenience" (commodité) et que les conseillers en gestion de patrimoine seront toujours présents pour les grands moments de la vie de l'épargne des clients. A l'image des notaires modernes! Autrement dit l'ubérisation des banques de détail a une limite: celle de l'importance des fonds du client dont il est question. On voit mal JP Morgan ou Lazard Frères mettre sur le marché une carte prépayée...
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